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| Démasquer | |
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+4Pero Coveilha Toub Filamp Oexmelin 8 participants | |
Auteur | Message |
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Pero Coveilha Uni-Mod
Age : 47 Localisation : soupçonnée
| Sujet: Re: Démasquer Ven 23 Mai 2008 - 11:51 | |
| Alors là il s'agit d'une autre dimension. La mémoire n'est pas que le souvenir du passé, elle y attache des valeurs, un sens qui rattache ce souvenir à noter identité présente. Déjà par le travail de sélection (si on privilégie tel événeemnt c'est bien qu'on y attache une importance partculière). Est-ce que c'est la mémoire du traumatisme de 70 qu'on veut garder, c'est-à-dire notamment la douleur qui y était attachée pour les contemporains? Ou est-ce qu'on veut l'appréhender de manière plus historique, moins "sentimentale", pour le dire rapidement? Il me semble que les Français ont fait leur choix depuis pas mal de décennies. Je ne pense pas que celui-ci était exprès, ni tout à fait conscient. Par contre il a grandement altéré l'événement justement en neutralisant les sentiments qui y étaient reliés auparavant. |
| | | Oexmelin
| Sujet: Re: Démasquer Mar 27 Mai 2008 - 23:28 | |
| Mon exemple:
Il y a, aujourd'hui au Québec, tout un discours qui fait l'apologie du métissage dans les rapports avec les Amérindiens. Un discours qui se repose sur tout un tas d'approximations, dont plusieurs connaissent ici la teneur: une supposée plus grande sensibilité des Français aux Amérindiens, la même phrase de Colbert répétée («un même sang»), un nombre supposé élevé d'unions franco-amérindiennes, des emprunts nombreux, etc.
L'historien en moi peut certes analyser certains des tenants de ce discours: un certain romantisme de l'image de l'Amérindien, écologiste avant l'heure, partageur, anticapitaliste tiré des années 60-70. L'idée du coureur des bois comme figure ancestrale plus séduisante qu'un paysan illettré, image trop compromse avec le cléricalisme des années 1950. Je peux relever aussi un paquet de déformations et de réinterprétations plutôt libres: il n'y a eu historiquement que des emprunts matériels qui impliquent peu les fondements des sociétés européennes, les unions et les métissages ont été numériquement très limités, la politique de Colbert abandonnée au profit d'une racialisation accrue, d'un certain racisme, etc.
Mais je *sais* que ce discours du métissage participe d'un large effort de réconciliation, de participation commune, une offensive politique destinée à redonner une place aux peuples amérindiens dans la société et la vie politique québécoise, à lutter contre le racisme, à se recréer un avenir commun *malgré* le passé. Ce discours du métissage est largement dominant dans les médias - d'où mon inconfort perpétuel devant ceux qui sont capables de distinguer aisément ces fameuses normes dominantes et dominées - alors que bien des historiens visent à «démasquer» ces discours qu'ils jugent trop lénifiants pour rappeler les heurts, les conflits, le racisme, etc. Tout comme l'image mythique de l'Améridien pré-hippie a été reprise à leur compte par les Amérindiens eux-mêmes et partagée par de grands pans de l'opinion: l'historien qui ramène les excès, la surchasse amérindienne dans le passé mine-t-il la légitimité de groupes dominés dans leurs revendications politiques en luttant contre un discours paradoxalement dominant ? Que se passe-t-il quand on «démasque» ? Il faudrait être terriblement naif pour croire qu'il n'y a aucune répercussion politique. Parfois, ces répercussions sont immédiates: l'historien convoqué au tribunal pour sanctionner l'usage d'un territoire en 1750 soutient directement des revendications territoriales actuelles.
Même chose face à la tradition. Quand on «dénonce» l'invention de la tradition chez les Occidentaux pour assurer cette omniprésente et terriblement floue «légitimité», que fait-on des traditions inventées chez les Amérindiens ? Soudainement, l'invention de la tradition chez les Amérindiens devient symbole de résistance et d'adaptabilité - quand elle n'est pas sciemment niée au nom de l'immémorialité («ce motif géométrique est traditionnel chez les Mi'kmaq»).
J'ai donc démasqué au nom d'une vérité historique. J'ai nié l'importance du kilt écossais inventé au 19e siècle et participé à l'avilissement du kilt chez ceux qui accordent à la tradition une importance, une fierté, un sentiment d'appartenance. J'ai démonté le mythe des Canadiens ouverts aux Amérindiens qui ne peuvent plus voir dans un passé imaginé un modèle à suivre, un idéal duquel ils se seraient détournés. J'ai montré qu'un motif traditionnel Mi'kmaq est une importation des Iroquois pour satisfaire des touristes occidentaux. Soudainement, ce motif n'a plus le même pouvoir: il est devenu méprisable, destiné à un simple commerce plutôt qu'un esthétisme ancien. J'ai montré que les Amérindiens ont surexploité les chasses de caribous et donné des munitions à ceux qui présentent aujourd'hui des Amérindiens comme des irresponsables. J'ai rappelé l'existence de haines, de massacres, d'injustices commises en 1698 qui vont nourrir des discours racistes, isolationnistes, rancuniers de 2008. Formidable: la vérité a triomphé... et je n'ai rien de plus à proposer. Votre passé n'est pas celui que vous pensez et puis c'est tout. À vous de retrouver du sens ailleurs, puisque votre communauté imaginaire n'est finalement qu'imaginaire et que je vous oppose un «réel» contre lequel vous n'avez aucune ressource.
Et c''est bien ça qui me tarabuste. Parce que j'ai vu et expérimenté les effets de ce foutu discours «démystificateur» quand il s'attaque à des objets bien vivants en mémoire et non pas à des récits marginaux dont on ne se soucie finalement guère (ex: les finances de la Louisiane au 18e siècle). |
| | | Filamp
Localisation : Vous êtes ici.
| Sujet: Re: Démasquer Mer 28 Mai 2008 - 0:07 | |
| Je comprends ton amertume face à la volonté de dévoiler la vérité coûte que coûte, mais il faut bien comprendre que rares sont les exemples qui rendent cette quête antipathique. L'exemple que tu nous donnes est très intéressant ; les historiens sapent les efforts de réconciliation entre Amérindiens et Canadiens (on comprend l'idée, hein) ; ils semblent stériliser le terreau du rapprochement entre ces deux cultures. Pourquoi rappeler le passé quand il empêche un meilleur futur, alors que c'est, apparemment, son objectif ?
"La vérité est mortifère, je ne la cherche plus" écrivait Nietzsche dans son préambule de Par delà Bien et Mal. Ce n'était qu'une ironie, ou un avertissement ; tout le reste de son ouvrage est une recherche de cette vérité. La philosophie est un immense sacrifice, tout comme l'Histoire. Le philosophe et l'historien souffrent et font souffrir pour atteindre une compréhension supérieure. Ne pas rappeler les massacres organisés, les ségrégations, les erreurs et les torts de chacun, c'est laisser reposer un terreau dangereux. Dans ton exemple, prôner un rapprochement ex nihilo, sans se rapporter au passé, est un appel aux quiproquos, aux malaises, voire, à des tensions futures. Il suffit de voir l'exemple franco-allemand ; l'Allemagne a été l'actrice principale de 3 invasions sur le sol français en moins d'un siècle, ses anciens dirigeants sont responsables de la mort de 55 millions de personnes durant la Seconde Guerre Mondiale, ils ont déporté ou assassiné des centaines de milliers, peut-être des millions de Français. De l'autre coté, il y a eu les chefs de la milice pendant l'occupation, et auparavant, l'humiliation du Traité de Versailles. Mais tous ces faits sont connus et acceptés par les deux partis, qui se sont réconciliés et ont marché main dans la main depuis 60 ans. Il est possible de reconnaître les erreurs passées tout en produisant du neuf. Il faut des bases claires et acceptées par tous pour construire. Tout comme l'on construit une maison sur un terrain stable, il faut bâtir une relation sur des fondements solides. Nier les massacres, les opportunismes, les zones d'ombres du passé, ce n'est pas aller de l'avant, c'est avancer à l'aveugle.
Comme je l'ai dit, l'Histoire n'est pas de l'auto-flagellation ; les historiens ne nous jettent pas l'opprobre, et ne nous rappellent pas notre passé par sadisme ou pas masochisme. L'Histoire est là pour construire l'avenir ; que cet Histoire soit glorieuse, ou bien honteuse. |
| | | Oexmelin
| Sujet: Re: Démasquer Mer 28 Mai 2008 - 0:49 | |
| - Filamp a écrit:
- Ne pas rappeler les massacres organisés, les ségrégations, les erreurs et les torts de chacun, c'est laisser reposer un terreau dangereux. Dans ton exemple, prôner un rapprochement ex nihilo, sans se rapporter au passé, est un appel aux quiproquos, aux malaises, voire, à des tensions futures. Il suffit de voir l'exemple franco-allemand ; l'Allemagne a été l'actrice principale de 3 invasions sur le sol français en moins d'un siècle, ses anciens dirigeants sont responsables de la mort de 55 millions de personnes durant la Seconde Guerre Mondiale, ils ont déporté ou assassiné des centaines de milliers, peut-être des millions de Français. De l'autre coté, il y a eu les chefs de la milice pendant l'occupation, et auparavant, l'humiliation du Traité de Versailles. Mais tous ces faits sont connus et acceptés par les deux partis, qui se sont réconciliés et ont marché main dans la main depuis 60 ans. Il est possible de reconnaître les erreurs passées tout en produisant du neuf. Il faut des bases claires et acceptées par tous pour construire. Tout comme l'on construit une maison sur un terrain stable, il faut bâtir une relation sur des fondements solides. Nier les massacres, les opportunismes, les zones d'ombres du passé, ce n'est pas aller de l'avant, c'est avancer à l'aveugle.
Sauf que ce rapprochement s'est fait par une volonté institutionnelle qui, avec raison, ne s'appesantissait véritablement pas sur des massacres connus, et non sur une reconstitution de la mémoire. En outre, les institutions ont fait des efforts considérables pour marquer la rupture, pour dire que l'Allemagne Nazie n'était pas la RFA, que Vichy n'était pas la République. Qu'il y avait eu confiscation de l'identité profonde des pays de part et d'autres, une expérience mutuellement partagée. Que c'était un départ à neuf: les idéologies vaincues avaient été totalement, entièrement discréditées. Mais que l'on rappelle Hiroshima, Dresden ou Mers-el-Kébir et déjà, la lecture qu'il faut en faire est bien moins claire. C'est pour cela que j'ai pris l'exemple des Amérindiens: parce qu'il y a là la possibilité précisément de reconstruire. Parce que, des «deux côtés», il y a des trucs à sauvegarder. Parce que ces trucs touchent à des fondements identitaires profonds, difficiles à remettre en question. Parce que cela met aux prises le Québec et les Amérindiens, dont les identités ne peuvent pas, n'ont pas pu se déployer avec toute la force des États européens. Et encore ne s'agit-il pas des États africains. - Citation :
- Comme je l'ai dit, l'Histoire n'est pas de l'auto-flagellation ; les historiens ne nous jettent pas l'opprobre, et ne nous rappellent pas notre passé par sadisme ou pas masochisme. L'Histoire est là pour construire l'avenir ; que cet Histoire soit glorieuse, ou bien honteuse.
Le problème, c'est que l'historien doit prétendre ne pas se prononcer sur gloire ou honte - ce qu'il fait tout de même, bien sûr - ni sur la collectivité qu'il est sensé mettre en scène - ce qu'il fait tout le temps. Une histoire qui insisterait lourdement sur, à force de vérités, la violence de l'unification française aux détriments des communautés bretonnes (appeau, appeau), corses, basques, occitanes, etc. pourrait le faire au nom du démasquage de l'idéologie jacobine unifiante ou en même temps être accusée de forcer le trait des identités régionales. C'est la représentation «de soi» dont il est question. |
| | | Hildoceras Moderatio in omnibus
| Sujet: Re: Démasquer Mer 28 Mai 2008 - 6:21 | |
| Dans les exemples amérindiens que tu cites, je ne vois pas pourquoi il faudrait hésiter à citer les faits historiques. Si le discours politique ambiant ne correspond pas à la vérité, il convient de changer le discours, non pas en son fond mais en sa forme. Que le métissage et le rapprochement des cultures soit valable ne doit pas se justifier sur un quelconque passé idéalisé mais sur du présent concret. La politique doit traiter du présent en fonction des personnes présentes, des situations présentes et seulement après des considérations passées. Sinon vous démolissez les villes et reprenez le bateau pour rentrer en métropole. On trouvera toujours un moment où l'un aura spolié l'autre si on remonte assez loin.
"oui mais mon ancêtre a labouré ce champ quand ton ancêtre courait pieds nus dans les bois" "oui mais mon ancêtre a donné à ton ancêtre de quoi bouffer parce que ton ancêtre était incapable de chasser même un cafard" "oui mais c'était facile, ton ancêtre avait volé à son voisin ce qu'il donnait"
ça finit par ressembler à bien des querelles actuelles de nations ou cultures. Il ya un momeent il faut couper court parce qu'on ne satisfera personne de toutes façons. _________________ sed quis custodiat ipsos custodes ?
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| | | Bob Lafayette
Age : 50 Localisation : Lorient
| Sujet: Re: Démasquer Mer 28 Mai 2008 - 6:43 | |
| Sauf que Colbert a bien prononcé sa phrase, que ce que j'ai lu de l'histoire de l'Amérique du nord semble aller vers une conscience plus rapide par les anglais et les français de l'humanité des amérindiens par rapport aux américains... que... que... que... Donc on peut déconstruire le mythe d'un passé commun comme on peut déconstruire le mythe d'un racisme complet. L'important dans ce que tu dis, c'est que face à une histoire complexe comme toutes les histoires, face à une histoire faite d'événements et de contextes souvent affreux, parfois superbes, un ensemble d'individus fait le choix de reconstruire ensemble une société métissée. C'est un discours politique auquel j'adhèrerais si j'étais canadien. Ce discours politique choisis de privilégier un aspect de l'histoire commune. Le rôle de l'historien n'est pas de condamner le discours politique mais de le mettre en perspective. Exemple (attention, ce qui va suivre est appelé un détournement breton et peut nuire à la sensibilité des plus pas bretons) : Le traditionnel Bagad est une institution en Bretagne. Haute musique enseignée en conservatoire cercle celtique, concours de renommée internationale ( désolé), c'est un élément constitutif de l'identité bretonne. L'historien pourrait dire : le premier Bagad a été créé en 1945 au sortir de la guerre (fait). Auparavant, le standard, c'était le groupe de chanteurs de kan ha diskan lui même pas très ancien et le groupe de trois musiciens (bombarde, cornemuse plus légère que celle qu'on utilise aujourd'hui et tambourin). Le discours politique dirait : c'est de la connerie cette identité bretonne, leur bagad a tout juste 60 ans et en plus, au XV° siècle, le sarrasin n'était même pas cultivé en Bretagne. Le fait que la musique bretonne vive des évolutions et qu'elle soit incluse dans une évolution historique est plutôt satisfaisante du point de vue de mon identité bretonouillarde. Le contraire me gênerait. Que les situations de conflits sur le problème amérindien aient été nombreuses dans l'histoire canadienne peut être cité sans vouloir anéantir un discours politique positif souhaitant mettre l'accent de l'identité canadienne sur le métissage (parce que ça n'est pas non plus faux). L'histoire de l'Algérie française est très dure. On ne peut pas nier le caractère conflictuel de la colonisation. Mais quand le film "l'Algérie des chimères" a été réalisé, avec un petit nombre d'incohérences historiques (je laisse les historiens en parler mieux que moi), le fait d'avoir mis en avant la dimension saint simonienne des premiers arrivants est un choix symbolique qui me convient tout à fait. Même s'il ne fait aucun doute que le traitement doit pouvoir être repris. Ce choix politique d'une égale humanité des deux cotés de la Méditerranée est une démarche tout à fait logique et appréciable dans notre contexte politique à nous. Il n'empêche qu'on n'a rien à perdre à ce qu'on raconte et reraconte cette histoire franco - algérienne avec ces points sombres (législation d'exception, colonisation, expropriations de terres...) et ces points positifs (la rencontre de la société française avec Abd El Kader, les saint simoniens, le chemin de fer...) sans tomber dans le caractère positif de la colonisation (mais ça c'est un autre débat...) Il y a une démarche scientifique et des prises de position idéologiques. C'est peut être juste qu'on nous a un peu trop appris qu'il y avait une vérité et des idéologies. Que le premier, c'est le chef qui la dit et c'est bien et que les deuxièmes, c'est mal. C'est plus ça à mon avis qu'il faut déconstruire pour pouvoir éduquer une société à mieux aborder cette déconstruction - reconstruction du savoir en permanence, sans que ça ne touche à la solidité des institutions et des traditions. |
| | | Toub
Age : 60 Localisation : méchoui sur Loire
| Sujet: Re: Démasquer Mer 28 Mai 2008 - 8:26 | |
| C'est étonnant ce que je lis là. En quoi le soi d'Oexmelin est-il influencé par les résultats de ses recherches ? En quoi l'historien doit-il se prononcer sur gloire ou honte ? (attention morceaux de fausse naïveté dedans - je préfère prévenir avant de susciter les traditionnels ) En quoi la génération du moment doit se trouver contrainte par celles du passé ? Y a-t-il par exemple des arrières pensées rédhibitoires (et significatives) entre les jeunesse françaises et allemandes dont les trois générations antérieures se sont très consciencieusement étripées. Je suis convaincu qu'il subsistera plus d'animosité entre deux peuples qui se sont naguère combattus quand leurs histoires (et leurs historiens) ne chercheront pas à converger (Chine Japon par exemple) _________________ Free your mind ... your ass will follow
Dernière édition par Toub le Mer 28 Mai 2008 - 18:32, édité 1 fois |
| | | Midomar
Age : 100 Localisation : A la campagne
| Sujet: Re: Démasquer Mer 28 Mai 2008 - 10:32 | |
| Il me semble qu'une politique construite sur une vérité historique erronée ou déformée a des bases bien fragiles. Rétablir la vérité pour permettre à cette politique d'adapter son discours, c'est lui rendre service. Sinon, tu gardes toujours sur la tête, l'épée de Damocles qu'un opposant le fasse au plus mauvais moment. |
| | | Filamp
Localisation : Vous êtes ici.
| Sujet: Re: Démasquer Mer 28 Mai 2008 - 10:57 | |
| - Midomar a écrit:
- Il me semble qu'une politique construite sur une vérité historique erronée ou déformée a des bases bien fragiles.
Rétablir la vérité pour permettre à cette politique d'adapter son discours, c'est lui rendre service. Sinon, tu gardes toujours sur la tête, l'épée de Damocles qu'un opposant le fasse au plus mauvais moment. Ou "Comment résumer 19 lignes de Filamp en 3 lignes de Midomar" :) |
| | | Pero Coveilha Uni-Mod
Age : 47 Localisation : soupçonnée
| Sujet: Re: Démasquer Mer 28 Mai 2008 - 13:09 | |
| Oex, j'ai l'impression que ta critique du "démasquage" n'est qu'un prétexte, l'enjeu étant bien plus vaste que celui-là. Il s'agirait de la question de l'engagement de l'intellectuel, du savant dans l'espace politique. Peu importe qu'il le fasse en soutenant positivement une thèse ou en démasquant les idéologies à l'oeuvre dans la société, c'est le résultat politique (et non scientifique) qui compte ici, pas la méthode. Tu as des scrupules à dire la réalité de la tradition amérindienne parce que sa connaissance viendrait miner les fondements d'un projet de société que tu soutiens. Mais qu'est-ce qui est premier dans ton rôle d'historien : définir la réalité passée le plus finement possible, ou avoir un rôle "utile" pour la société? décrire le passé ou prescrire pour le futur? Personnellement, je n'apprécie pas trop la prétention d'un grand nombre d'universitaires à s'arroger, à partir de connaissances qu'ils ont établies, le droit -qu'ils se camouflent en le décrivant comme un devoir- de dire le juste. De s'ériger en voix d'autorité sur la résolution des questions d'actualité. Je ne vais pas revenir sur cette fausse identité entre le vrai et le juste, mais pour moi le rôle du chercheur (quelque soit sa discipline) est d'abord et avant tout dans l'établissement de la vérité, que celle-ci lui plaise ou non, qu'elle lui soit pratique ou non. Le chercheur -surtout en sciences sociales- se trouvera très fréquemment en porte-à-faux sur la question, incapable de jamais faire entièrement la part de ce qui ressort de son point de vue biaisé (par son caractère partiel, par ses intérêts personnels, etc.). Mais ça ne veut pas dire qu'il ne doit pas tendre le plus possible à l'établissement de faits objectifs et à leur communication à un public plus large. Lorsque se font jour des injonctions contradictoires telles que celles que tu as données en exemple (dévoiler l'invention de la tradition / protéger l'identité d'une minorité menacée), je peux comprendre le cas de conscience de l'historien, qui n'est pas qu'un homme de savoir mais aussi un citoyen. Par contre, j'ai du mal à accepter de le voir trancher en faveur de la deuxième partie de l'alternative, comme c'est trop souvent le cas. Dans les deux situations, il s'agit d'un acte politique, ça je ne vais évidemment pas le nier, c'est-à-dire que le dévoilement a des conséquences dont il faut être conscient par la fragilisation des constructions identitaires, quand l'autre choix prend le parti de préserver celles-ci. Mais dans un cas l'historien est dans son rôle, tandis qu'il en sort dans l'autre. J'ai l'air d'enfoncer une porte ouverte (quoique peut-être pas pour tout le monde, mais cette idée semble partagée par ceux qui ont répondu avant moi), mais c'est là qu'est véritablement l'enjeu. Dans les cas comme celui que tu as illustré, se refuser au démasquage, c'est maintenir un pouvoir discrétionnaire sur la divulgation de la vérité pour protéger ce qu'on estime juste. C'est quand même bien ça! L'historien (ou le sociologue, ou quoi) se donne ainsi du pouvoir sur la production mémorielle, non plus comme un fournisseur de "faits" mais comme celui qui va contrôler la "valeur ajoutée" apportée par les acteurs de la société. Il fait déborder son autorité de connaissance pour s'autoconférer une légitimité politique. On avait évoqué ensemble la nécessité pour le savant de tenter de contrôler un minimum l'utilisation de ses résultats par les autres acteurs. Quand j'ai évoqué cette question, il ne s'agissait pas pour moi de donner une légitimité à ces "sorties de rôle" que je viens de dénoncer ci-dessus. Je voulais "juste" dire -mais c'est déjà énorme- que le savant a à prendre en considération les subjectivités des récepteurs des données qu'il va publier, de telle sorte qu'il puisse les formuler de telle manière à réduire l'éventail des mésinterprétations et des instrumentalisations potentielles. Pas qu'il prenne une position d'autorité pour dire quelle exploitation on doit faire de ses résultats, au-delà des corrections d'interprétation qu'il doit effectuer dans un esprit pédagogique. En un sens, ça reste une intervention politique (on continue ainsi à formater les "faits" offerts au public), mais plus subtile que le fait de s'ériger comme une autorité politique. Peut-être accusera-t-on cette position d'hypocrisie, je suis prêt à la défendre plus en détail. Pour finir, et te mettre du baume au coeur :biggrin: , je pense qu'il faut relativiser le caractère destructeur de la déconstruction identitaire. Un discours intelligent sur le multiculturalisme, ce n'est pas de défendre à tout crin les cultures dominées sur tous leurs aspects, mais bien plutôt de mettre en valeur l'artificialité des différences culturelles, de toutes les différences culturelles. C'est pour ça que la critique doit être universelle; spécialiste de l'histoire amérindienne ou tout autre domaine, tu dois être capable d'énoncer -parfois dans le mêem mouvement- comment les traditions se sont inventées ailleurs. D'ailleurs tu l'as fait spontanément! Par une ruse de l'histoire ( ) sur laquelle il faudrait développer, je pense sincèrement que la critique sociale est l'outil essentiel -quoique souvent contre-intuitif- pour défendre les principes humanistes; ces mêmes principes qui nous poussent parfois à vouloir suspendre le jugement critique pour préserver leur apparence. _________________ "Politicians love activity : that's their substitute for achievement", Sir Humphrey, Yes Minister
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| | | Pero Coveilha Uni-Mod
Age : 47 Localisation : soupçonnée
| Sujet: Re: Démasquer Ven 30 Mai 2008 - 12:39 | |
| Une erreur dans le split d'avec la discussion sur la méthodo, veuillez excuser je débute :red: : Le message suivant d'Oexmelin devrait se trouver dans cette discussion-ci: - Oex a écrit:
- Plusieurs choses à répondre, et ça m'énerve de ne pas avoir le temps et de ne devoir écrire qu'approximativement ce que je souhaite dire.
En bref:
La question n'est pas tellement de devoir dire / devoir taire et de s'ériger en censeur. C'est le processus d'insister, d'attirer l'attention et de placer sous les projecteurs des événements que d'autres pourraient juger marginaux (ex: la phrase de Colbert). Démasquer, c'est implicitement le faire au nom d'une tromperie, d'une déformation - pas toujours (et souvent, pas du tout) au nom d'un mensonge éhonté. C'est agir selon la conviction qu'il y a eu ce grossissement indu - parfois par désir pervers de jouer le chien dans un jeu de quilles, de balayer une belle unanimité un peu fleur bleue. Bien que l'aspect «tromperie» / «manipulation » du démasquage me pose aussi problème, j'essaierai d'y revenir plus tard.
Si j'insistais sur l'impossible schizophrénie scientifique-citoyen, je ne vais sûrement pas tenter de séparer à la guillotine le même couple chez l'historien. Entre «démasquer» pour mieux lutter contre les dominants et «lisser» pour créer des catégories opérantes, on peut souvent je crois lire la même arrogance: celle du chercheur qui dit le mieux le vrai contre la perception des gens impliqués. A contrario, l'historien qui lisse et celui qui démasque sont tous deux, également, en train de «jouer leur rôle» d'historien.
Dans les deux cas, par contre, ce qui me reste au travers la gorge avec le démasquage (l'autre type d'intervention étant plus fréquemment dénoncé, on en connaît mieux les écueils), c'est l'idée de déconstruction gratuite (ce qu'elle n'est *jamais*). Une fois que j'ai «démasqué» l'invention de la tradition Mi'kmaq, je me lave les mains de savoir ce qu'est l'identité Mi'kmaq. Je viens simplement de la priver d'une ressource pour se construire. Pero l'a bien saisi: ça me met mal à l'aise, et à chaque fois, j'essaie d'établir des parallèles ailleurs (ce que je fais d'ailleurs au nom d'une conviction universalisante également non démontrée et terriblement citoyenne...), mais déjà, je ne me sens plus ni en territoire «historien» ni en total démasquage.
L'historien est-il condamné à détruire et le citoyen à construire ? Ça m'apparaît à la fois faux et réducteur. L'historien construit, lui aussi, mais de façon presque souterraine (et donc plus difficile à «démasquer» par le citoyen) et l'on connaît combien le citoyen rêve «du «passé [de faire] table rase...».
EDIT: J'ai fait un edit qui a disparu. Je tâcherai de le reprendre plus tard. |
| | | Oexmelin
| Sujet: Re: Démasquer Ven 30 Mai 2008 - 18:42 | |
| Deuxième edit perdu. Merde. |
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| Sujet: Re: Démasquer | |
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| | | | Démasquer | |
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