Je regarde les textes de mon grand père et je tombe sur celui-là qui raconte en partie la difficulté qu'il a du ressentir au sortir de la guerre (je le réécris tel quel sans rien changer, en laissant quelques fautes et coquilles - texte tapé sur une machine à écrire) :
S'il est au monde un objet d'une valeur intrinsèque, bien que minime, insignifiant même, mais auquel à un certain moment, vous avez tenu de tout votre cœur, comme à un certain bijou, c'est l'insigne FFI ou celui de votre amicale des Résistants.
Quand vous l'aperceviez au revers d'une veste, vous oubliez subitement votre dégout pour toute la bassesse, l'égoîsme, le manque de scrupule, l'amoralité qui vous sont aparus dans votre entourage et dont vous avez souffert dès la libération. La vue de cet insigne vous pénétrait comme un peu d'air pur, de cet air si spécial du maquis au matin frais et parfumé des saveurs de la faune à l'endroit de vos souvenirs, la vue de cet insigne regonflait vos poumons, amenait chaque fois le sourire sur vos lèvres, la fierté dans votre regard, en un mot, vous reviviez.
Mais avez-vous observé les regards qu'il attire quand vous êtes dans une foule, ne vous est-il jamais arrivé de vous entendre poser cette question ? qu'est-ce que c'est que ça........ Avec votre fierté d'homme conscient du devoir accompli simplement, vous avez répondu : c'est l'insigne des Résistants, vous avez alors pu remarquer une moue de votre interlocuteur.
Cette moue elle de pitié chez le gars de l'armée Leclerc, pour qui le Résistant est un petit vantard.
Elle est d'envie chez le collectionneur de tout ce qui le distinguera des autres, il parviendra d'ailleurs à obtenir un certificat de Résistance d'un monsieur bien placé, de nous les purs il ne l'aurait jamais eu.
Elle est de dédain chez l'enrichi trafiquant du marché parallèle, bien au-dessus de ces mesquineries, le dessin de ses lèvres semble vous dire : quel con !
Elle est narquoise chez le bourgeois craintif qui portait son cuivre pour avoir du vin.
Elle est dégoutée chez ceux qui n'ont rien fait pour chasser le boche de chez nous mais qui se vantent d'avoir fait plus que vous dans ce chemin, ils murmurent en vous voyant entre leurs lèvres minces : pillards, tondeurs de femmes !
Elle est grimace de haine à peine contenue chez ceux qui au font n'ont pas digéré la défaite du teuton.
Alors ! chez nous, c'était donc si mal porté d'avoir été un simple Français refusant la résignation !
Et oui ami et votre insigne vous place dans la catégorie des pauvres idiots qui n'ont jamais compris, qui n'ont jamais compris que l'amour de la Patrie, c'est un amour qui ne se rend pas, c'est un amour qui se monnaie par les "autres", sur le dos de ceux qui ont sincèrement et profondément aimé, qui n'ont pas su rester au coin de leur feu et en sortir au bon moment, des pauvres idiots qui n'ont pas su s'enrichir, des pauvres idiots qui ont souffert, qui sont tombés pour leur garce de maîtresse qu'ils avaient dans la peau, la France des pauvres idiots qui préfèrent tomber face à l'ennemi dans une lutte inégale plutôt que de faire comme tout le monde, fuir ou s'incliner,
Des pauvres idiots qu'on a encensés dans des discours ou mais les compliments étaient destinés à ceux dont on parle plus loin, les décorés politiques, les bénéficiaires de vos actions, car vous pauvres idiots, on a ri de vous car tomber en faisant son devoir, c'est mourir tout de même, que vivre avec au fond de sa conscience une tâche mal lavée de honte et de veulerie, c'est vivre tout de même et qu'enrichi par le vol dans la boue, dans la honte, c'est enrichi tout de même.
Pauvres idiots nous le fumes et nous le sommes encore. La Résistance, c'est notre fierté, c'est notre droit, c'est aussi notre honte et c'est notre faute, pourquoi ? parce que nous nous sommes laissé mélanger à cette Résistance politique et méprisable, à ces intrigants parvenus, ces poltrons et fainéants médaillés. Nous n'aurions jamais du rendre nos mitraillettes car le tri aurait été facile.
Souvenons nous camarades.
Le 6 juin 1944, l'État-Major général de l'armée lançait cet ordre :
Tous les officiers, sous-officiers et soldats de la Résistance, qu'ils appartiennent à un réseau, à un groupe isolé ou à toute organisation de la Résistance doivent immédiatement se mettre à la disposition du commandant local des Forces Françaises de l'Intérieur.
Cet ordre était clair et précis, concis comme dirait un militaire, bien et vu, mais celui qui n'a par rejoint, n'est-il pas ce qu'il convient d'appeler un déserteur ? ....... et comment un homme se trouvant dans ce cas pourrait-il prétendre au titre de Résistant puisque les seuls ordres qu'il pouvait recevoir et les seules armes qu'il pouvait posséder ne pouvaient lui être donnés que par le commandant militaire des Forces Françaises de l'Intérieur.
Nous pouvons donc affirmer qu'à part quelques rares exceptions genre Gagnon, tous ceux du Secteur-Nord que vous n'avez pas connus, camarades, sont des ennemis qui nous ont fait autant de mal que les boches, voilà pourquoi nous n'aurions pas du rendre nos mitraillettes.
Ce sont les pages 3 et 4 de ses notes. La page 5 a disparu.