Voilà,
C'est un sujet que j'ai évoqué bien des fois indirectement en parlant de la fin de l'âge du bronze et de la guerre de Troie et je crois qu'il mérite un sujet à part entière tant il peut être dense.
Je vais déjà poser les termes du débat.
Et pour commencer, y-a-t-il même seulement une énigme ?
L'archéologie et la génétique semblent s'accorder sur le fait que les étrusques sont une civilisation autochtone de l'Italie du nord et cela rejoint plusieurs explications d'auteurs anciens défendant aussi une origine locale. Denis d'Halicarnasse, Pline l'ancien et Tite-Live.
Point final ?
Mmmmmhhhh.
Il y a, non pas des problèmes avec cette explication parfaitement crédible, rationnelle et vérifiable, mais des questions qui demeurent sans réponses (sauf à évacuer les auteurs qui présentent une autre opinion comme sans aucun fondement, ce qui est possible, mais me parait toujours un peu hâtif, nous n'avons pas beaucoup de sources, dommage d'évacuer certaines, même si elles sont contradictoires avec ce que l'on découvre, sans se poser des questions).
Reprenons déjà ce que nous disent archéologie et génétique.
La civilisation étrusque semble héritière de la culture de Villanova et des proto-villanovans qui partagent eux même des similitudes avec la culture des champs d'urnes d'Europe centrale. Il y assez peu de doutes sur cela.
A noter toutefois, un peu au nord du territoire Etrusque actuel (avec un recoupement à certains endroits) l'existence d'une autre culture antérieure, dite "Terramare" (non pas Terre et Mer, mais "terre marnée") ayant soudainement abandonnée ses villes a une période chronologique sensiblement proche de la fin de l'âge du bronze en méditerranée orientale...
Cette culture pourrait bien être à l'origine des proto-villanovans ou les avoir influencés.
Et Denis nous parle aussi de "Pelasgiens" vivant dans la plaine du Pô jusqu'à deux générations avant la guerre de Troie, ayant dû abandonner leurs terres suite à une famine et que l'on pourrait associer à cette culture.
La génétique maintenant.
Elle confirme une population italienne autochtone, apparemment très proche des latins, sans apport anatolien récent et, plus important (et là où peut être, une énigme peut commencer à surgir à nouveau), avec un apport génétique de la steppe (IE indo-européens) similaire à leurs voisins parlant des langues indo-européennes.
La linguistique.
Elle ne nous apprend pas grand chose car la langue étrusque n'est pas déchifrée, mais c'est là que les problèmes commencent. La langue étrusque n'est PAS une langue indo-européenne. Du coup, l'hypothèse la plus crédible est qu'elle est une langue pré-indo-européenne qui pour une raison ou une autre a pu s'imposer (ou se maintenir) culturellement dans le pays étrusque.
Le nom que les étrusque se donnent à eux mêmes est "rsna" (Rasna ou Rasenna). Sans rapport apparent avec les noms qui leur sont donnés par les autres dans les sources historiques (Thyrsennoi, Etrusci, Tusci etc).
Il existe aussi, une stèle, retrouvée à Lemnos dans une langue qui semble extrêmement proche de l'étrusque...
Les linguistes pensent aussi à une parenté avec la langue rhaétique parlée dans les Alpes (et qui irait dans le sens des textes de Pline et Tite-Live).
Les sources antiques divergentes :
Plusieurs sources antiques donnent une origine étrangère aux étrusques.
Hérodote en fait un peuple ayant migré de Lydie suite à une famine (avec tirage au sort et les gens qui partent avec armes et bagages en bateau. Je ne dis pas que c'est vrai, je pointe juste dans la direction des évènements des "peuples de la mer" et le point commun avec l'histoire des "Pelasgiens" de la vallée du Pô de Denis). A noter que les Lydiens sont eux un peuple indo-européen arrivée en Turquie après l'effondrement de la fin de l'âge du Bronze.
Hellanicos prétend que ce sont des "Pelasgiens" originaire de Thessalie qui sont entrée en Italie par l'adriatique. J'ai envie de dire que cette insistance avec les Pelasgiens me fait me poser une autre question, que j'ai de même déjà évoqué dans d'autres enfilades, qui sont ces foutus Pelasgiens exactement ? Et pourquoi les grecs les mettent partout ?
D'autant que Denis, qui réfute lui aussi le lien "Lydien/Etrusque" sur la base de l'ignorance de cette légende en Lydie et des divergences de langues et de dieux/coutumes des deux peuples, explique aussi qu'ils ont plus de points communs avec les Pelasgiens qu'avec les Lydiens.
Il y a donc, malheureusement, aussi une énigme Pelasgienne qui vient se mêler à cette conversation et qui, peut être, touche à beaucoup de choses.
L'hypothèse qui me fait de l'œil, c'est que ce sont des populations autochtones antérieures à l'arrivées des achéens et danéens et possiblement pré-indo-européennes. Peut être une famille de langues/peuples présent des côtes d'Asie mineure, dans l'Egée (probablement les cyclades, les Minoens ?) et jusque sur le continent en Grèce, mais possiblement en adriatique et même en Italie ?
Mais là c'est un peu gonflé sans doute, d'autant que les traces de culture matérielles ne permettent en rien de faire ce genre de liens.
Si on revient aux étrusques et aux sources antiques, Hésiode les cite mais indique juste qu'ils vivent à proximité des latins sans indiquer une origine.
Et un hymne "homérique" à Dyonisos les mentionne en tant que "pirates".
Thucydide en parle également en les liant lui aussi à la piraterie, aux Pelasgiens (habitants indigènes de l'attique) et aux Lemniens (!!!)...
Voilà, je ne sais pas vraiment quoi faire de tout cela. Je crois que personne ne sait.
Mais il me semble qu'il y a quand même une connexion, fût-elle basée sur des souvenirs biaisés, ou une confusion entre peuples.
Les évènements de la fin de l'âge du bronze et les "peuples de la mer" (avec des historiens qui font des connexions via les noms entre certains des peuples cités et la méditerranée occidentale, connexion à ne pas négliger, les mythes grecs notamment Héracléens et l'Odyssée montrent le souvenir de connexions commerciales et culturelles entre monde grec mycénien/achéen et l'Italie) rentrent quand même assez bien, avec les famines, migrations avec femmes et enfants par bateaux et piraterie dans les réminiscences des ces sources divergentes sur l'origine des étrusques.
Et je ne crois pas que le fait qu'ils soient en réalité autochtones à l'Italie soit forcément à remettre en cause ou un problème. Le voyage s'est peut être fait dans l'autre sens de l'occident vers l'orient avec les peuples de la mer et une installation à Lemnos.
Où, dans le sens orient/occident il a pu concerner des élites égéennes parties vers l'ouest et peut être vers des "relations" (familiales, commerciales, d'hospitalité), plutôt que l'orient et l'Egypte, le souci de cette hypothèse étant que la culture matérielle ne voit pas d'apport oriental visible en Etrurie.
Peut être que cette association orientale vient simplement d'une volonté d'expliquer des liens linguistiques avec les peuples de l'Egée (via une famille de langues pré-indo européennes).
Sur la piraterie, on peut être tenté d'y voir comme je le fais, les "peuples de la mer" mais cela peut aussi tout à fait être une activité plus récente historiquement, pendant les âges sombres et l'implantation à Lemnos est peut être elle-même relativement "récente".
Car en fait le vrai mystère étrusque ne semble pas être leur origine (qui est assez bien comprise) mais le fait que les étrusques soient un îlot non-indo-européen au milieu de nombreux autre peuples indo-européens et le fait que la génétique ne les sépare pas rend cet îlot linguistique difficile à comprendre.
Il permet de réitérer le fait que langue et culture ne sont pas toujours liées à la génétique et au "sang" mais il peut être intéressant néanmoins de comprendre d'où vient la langue étrusque (autochtone et pré-indo-européenne ou étrangère ?) et ce qui lui a permit de se maintenir ou de s'imposer dans le contexte culturel local.
Et je n'en parle pas ici, mais il y a aussi le mythe romain de la fuite d'Enée réfugié chez les latins qui me semble lié.
Car même si je crois volontiers l'explication qui veut que cela soit juste un moyen pour les romains de l'époque d'Auguste de se payer un certificat d'hellénisme en s'inventant une parenté, il est possible que cette invention soit issue de traditions préexistantes (et peut-être de mythes étrusques).