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| La méritocratie | |
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+8Bob Lafayette DD Ibarrategui forezjohn capitaine Fracasse kerloic Pero Coveilha Keyser Pacha 12 participants | |
Auteur | Message |
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Keyser Pacha
Age : 46 Localisation : Pleine tête !
| Sujet: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 9:16 | |
| Je viens de lire un lien sponsorisé sur mon FB (il arrive, très rarement, qu’ils soient intéressants) d’un article de Princetown sur les aspects potentiellement négatifs de la croyance en la méritocratie. Le lienSi l’article lui même m’a paru succinct et aurait gagné à aller plus en détails dans les explications et expérience données en exemple, j’ai trouvé le thème intéressant tout de même et je me suis dis que, d’une, je pourrais partager le lien sur le forum, que de deux, certains ici (des sociologues et des philosophes,au hasard), auraient peut être quelque chose à ajouter, ou des commentaires à faire. :) Pour ceux qui ne l’ont pas lu. En très très gros : Le mérite seul n’assure pas le succès dans la société dans laquelle nous vivons alors même que bon nombre de gens le croient. Mais au delà de cela, la croyance en la méritocratie semble avoir des effets de bord qui ne sont pas souhaitables (comme des comportements plus égoïstes, moins de remises en question et une plus grande facilité à accepter les inégalités (qui se retrouvent de fait justifiées)). L’article lui même quoique trop rapide a mon goût explique plus en détail, le raccourci est juste là pour donner une idée de ce sur quoi la discussion porte.
Dernière édition par Keyser Pacha le Lun 31 Jan 2022 - 10:54, édité 1 fois |
| | | Pero Coveilha Uni-Mod
Age : 47 Localisation : soupçonnée
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 9:48 | |
| Moui, il reprend des critiques qui sont déjà anciennes, je m'attendais à ce que son apport soit de proposer une alternative. Là il rejette complètement l'idée, mais on peut faire la distinction entre ce qui doit être et ce qui est, la pensée critique permettant de bien faire la part entre les deux, de faire advenir le premier terme en s'attaquant au second. _________________ "Politicians love activity : that's their substitute for achievement", Sir Humphrey, Yes Minister
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| | | kerloic
Age : 44
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 12:21 | |
| Il faut revenir sur l'époque où l'idée de méritocratie et les structures qui sont sensées soutenir l'idée ont été mises en place. Grossièrement il y a deux périodes cruciales : Napoléon (avec des prémisses révolutionnaires voire antérieures) et la réforme de l'enseignement supérieur (débutant en 45 et culminant en 70, en passant par des réformes importantes des corps de l'état entre les deux). Les deux contextes sont ceux de changements profonds de la composition des élites, mouvements qui sont préexistants et causés par d'autres phénomènes, et l'idée de méritocratie est un outil que promeuvent les élites émergentes pour accélérer la transition. Les modalités de la méritocratie sont de fait plutôt conçues pour l'accélération d'un changement préexistant, et non per se. Une fois les transitions achevées, l'idée de méritocratie permet au contraire un conservatisme au profit des élites (nouvellement) installées, et le fait que ses modalités permettent exceptionnellement une ascension sociale accélérée est systématiquement utilisée d'un point de vue rhétorique pour en démontrer les mérites.
Il y a déjà des passages à ce sujet dans le vieux "Noblesse d'Etat" de Bourdieu, écrit alors que la 2e phase n'était pas encore achevée... |
| | | capitaine Fracasse
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 14:08 | |
| On pourrait peut être même associer l'idée de "méritocratie", comme une remise au goût de l'époque contemporaine de celle d'aristocratie : la souveraineté des meilleurs. Que le mérite doive servir à distinguer politiquement les hommes dans la cité est en fait une idée très ancienne, de même qu'est ancienne l'idée que les meilleurs ne le sont pas vraiment. |
| | | forezjohn
Age : 43 Localisation : Expert-comptable city
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 14:54 | |
| L'idée n'est effectivement pas nouvelle que l'on est passé du principe énonçant que les meilleures places doivent échoir aux meilleurs à "s'ils sont aux meilleures places c'est qu'ils sont les meilleurs."
Dernière édition par forezjohn le Lun 31 Jan 2022 - 17:37, édité 1 fois |
| | | Ibarrategui
Age : 42 Localisation : Marineland
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 15:27 | |
| C'est pénible ce lien interminable, Keyser, met le en balises spoiler, stp, il est impossible de lire proprement vos contributions. |
| | | capitaine Fracasse
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 15:33 | |
| Vis-à-vis du mérite, toutefois, je trouve assez intéressant que l'élection par le concours,
-- qui me semble être l'élection la plus à même d'élire les plus méritants (selon notre conception actuelle du mérite), car l'élection par le sort élit sans mérite tout un chacun et l'élection par le suffrage élit les meilleurs à solliciter les suffrages --
ne soit employée que jusqu'à un certain point hiérarchique...
Je puis me tromper, mais il me semble que passé un seuil très élevé, dans l'administration, les fonctionnaires ne me semble plus être promus par le concours, mais sont nommés par leurs supérieurs ou par le pouvoir. |
| | | Ibarrategui
Age : 42 Localisation : Marineland
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 15:44 | |
| Tu ne te trompes pas. Mais de toute façon, sur ce point de détail, il faut bien distinguer l'emploi (auquel tu es nommé par une autorité supérieure) du grade (auquel tu accèdes par concours). Un diplomate est généralement arrivé dans son grade par concours, mais il sera nommé dans son emploi par une décision qui passe en conseil des ministres. Idem pour un directeur d'administration centrale.
Le mérite au sens de la plus grande réussite dans certaines évaluations organisées par l'État joue donc pour l'entrée dans un grade, mais pas pour la carrière qu'on y mène.
Ainsi, j'ai accédé par concours à un certain panel d'emplois parce que j'ai eu la chance de réussir une certaine série d'épreuves mieux que d'autres. Mais les emplois que j'ai exercés successivement ne doivent rien à ce concours : c'est là l'effet de différentes décisions de gestion, arbitrées in fine par un haut fonctionnaire nommé en conseil des ministres. Dans mon cas, évidemment, ça a été géré localement, mais à un niveau supérieur, l'autorité hiérarchique et l'autorité politique se confondent. |
| | | capitaine Fracasse
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 15:48 | |
| - Ibarrategui a écrit:
- C'est pénible ce lien interminable, Keyser, met le en balises spoiler, stp, il est impossible de lire proprement vos contributions.
Le lien est interminable, car il charrie tous les traqueurs d'internet. Le lien, seul, est celui-ci : https://press.princeton.edu/ideas/a-belief-in-meritocracy-is-not-only-false-its-bad-for-youTout cela ne sert qu'à savoir d'où vient Keyser : - Spoiler:
"?fbclid=IwAR3uT39tdhZ9_06vd03SnpUUCe-kQJDI_PO9hIXwooF1lp8yG7RA6J6TgnQ&hsa_acc=2416439265284453&hsa_ad=23849283651510361&hsa_cam=23849283651410361&hsa_grp=23849283651460361&hsa_net=facebook&hsa_src=fb&hsa_ver=3&utm_campaign=Post%3A+%22According+Clifton+Mark%2C+a+belief+in+meritocracy...%22&utm_medium=paid&utm_source=facebook"
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| | | Ibarrategui
Age : 42 Localisation : Marineland
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 16:02 | |
| Sur la méritocratie
Je pense qu'il est utile distinguer deux choses : a) un fonctionnement au mérite qui correspond au fait d'exiger certains prérequis lors d'une compétition normée (par exemple, le concours d'entrée en médecine) et qui me semble indépassable pour éviter d'une part l'incompétence (on nommera au hasard), de l'autre le clientélisme (on nommera ceux qu'on connaît) ; j'ai toujours beaucoup de mal quand on dénonce ce système méritocratique comme injuste, car il me semble que tous les autres systèmes sont encore plus injustes, et induisent des doses supérieurs d'arbitraire, de hasard et d'injustice ; b) un fétichisme du mérite qui résulte d'une sorte d'idéologie très protestante, et même calviniste, de la prédestination (d'ailleurs l'article ne vient pas pour rien du monde anglo-saxon) pour laquelle la réussite dans la vie révèle l'élection divine. Vous méritez ce que vous avez, même si vous n'avez rien ; en contrepartie, si vous travaillez dur, vous aurez... Or les deux termes de l'équation sont faux. On sait que bien des choses dans la vie ne sont pas méritées (par exemple, je ne méritais pas d'être laid, je ne méritais pas non plus d'être grand), que d'autres sont simplement héritées (génétiquement ou socialement, je n'ai pas mérité d'être un homme blanc dans un pays riche, au 21e siècle, avec tous les avantages que ça implique) et que l'obtention de quelque chose dans la vie est généralement l'effet d'un jeµ conjugué du hasard et de la volonté. De même, il est faux de penser que celui qui n'obtient pas grand chose et qui échoue à la fin ne peut pas avoir eu du mérite dans son effort. Mais je prêche des convaincus.
Le mérite demeure, je crois, un système efficace de fonctionnement social, dès lors qu'il est modulé dans une perspective de relative justice sociale. Et oui, il n'est pas inutile de se méfier d'une idéologie qui se contente de légitimer les positions sociales en gommant ce qui, dans ces positions, ne résulte pas du seul mérite personnel (c'est-à-dire essentiellement le donné génétique initial, le milieu culturel et social et le caractère de l'individu, le tout mâtiné d'un peu de hasard et de chance).
Il me semble, moi, que l'idée du mérite n'équivaut pas à l'idéologie de la prédestination dudit mérite. |
| | | capitaine Fracasse
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 16:05 | |
| - Ibarrategui a écrit:
- Tu ne te trompes pas. Mais de toute façon, sur ce point de détail, il faut bien distinguer l'emploi (auquel tu es nommé par une autorité supérieure) du grade (auquel tu accèdes par concours). Un diplomate est généralement arrivé dans son grade par concours, mais il sera nommé dans son emploi par une décision qui passe en conseil des ministres. Idem pour un directeur d'administration centrale.
Le mérite au sens de la plus grande réussite dans certaines évaluations organisées par l'État joue donc pour l'entrée dans un grade, mais pas pour la carrière qu'on y mène.
Ainsi, j'ai accédé par concours à un certain panel d'emplois parce que j'ai eu la chance de réussir une certaine série d'épreuves mieux que d'autres. Mais les emplois que j'ai exercés successivement ne doivent rien à ce concours : c'est là l'effet de différentes décisions de gestion, arbitrées in fine par un haut fonctionnaire nommé en conseil des ministres. Dans mon cas, évidemment, ça a été géré localement, mais à un niveau supérieur, l'autorité hiérarchique et l'autorité politique se confondent. Merci. Est-ce que cela ne montre pas que nos sociétés se méfient, en fait, de la méritocratie ? Que du moins on ne lui fait pas suffisamment confiance pour attribuer les emplois ? Qu'on se contente du mérite comme lointaine pré-sélection. Est-il inimaginable, en soi, que l'ouverture d'un emploi de diplomate se fasse lui-même sur concours, parmi les diplomates ? Que pour être nommé à l'ambassade de Washington, il faille réussir un concours fondé sur des éléments ayants trait à la situation politique, géopolitique et culturelle des États-Unis d'Amérique (je dis ça de façon un peu idiote et rapide). Ou n'est-ce inenvisageable que compte tenu de la volonté du pouvoir exécutif de conserver la main sur l'administration, de sorte à choisir, plutôt que les plus méritants, les plus fidèles, les plus dociles ou les plus convaincus par les politiques que l'on veut suivre ? [Alors que, paradoxalement, si le statut de fonctionnaire est protecteur, c'est, je crois, que le législateur considère que l'administration doit pouvoir rester indépendante du gouvernement.] -- (Et, en ton cas, je n'ai aucun doute... je crois que la chance, qui aide à réussir les séries d'épreuves mieux que d'autres, accompagne un talent qui permet de saisir les séries d'épreuves mieux que d'autres) |
| | | Ibarrategui
Age : 42 Localisation : Marineland
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 16:17 | |
| - kerloic a écrit:
- Il faut revenir sur l'époque où l'idée de méritocratie et les structures qui sont sensées soutenir l'idée ont été mises en place. Grossièrement il y a deux périodes cruciales : Napoléon (avec des prémisses révolutionnaires voire antérieures) et la réforme de l'enseignement supérieur (débutant en 45 et culminant en 70, en passant par des réformes importantes des corps de l'état entre les deux).
Les deux contextes sont ceux de changements profonds de la composition des élites, mouvements qui sont préexistants et causés par d'autres phénomènes, et l'idée de méritocratie est un outil que promeuvent les élites émergentes pour accélérer la transition. Les modalités de la méritocratie sont de fait plutôt conçues pour l'accélération d'un changement préexistant, et non per se. Une fois les transitions achevées, l'idée de méritocratie permet au contraire un conservatisme au profit des élites (nouvellement) installées, et le fait que ses modalités permettent exceptionnellement une ascension sociale accélérée est systématiquement utilisée d'un point de vue rhétorique pour en démontrer les mérites.
Il y a déjà des passages à ce sujet dans le vieux "Noblesse d'Etat" de Bourdieu, écrit alors que la 2e phase n'était pas encore achevée... L'article est très anglo-saxon, et ta réponse très française, c'est amusant. -> dès lors que les places sont moins nombreuses que les candidats, il est nécessaire de trouver une forme de classement. Sous l'ancien régime, ce classement se faisait sur les critères de la tradition historique, de la continuité d'une chaîne d'individus élus par l'histoire (la noblesse du sang pour exercer des fonctions supérieures dans l'armée) ou sur ceux de l'argent, et donc de la faculté à l'accumuler et à le transmettre (la noblesse de robe qui achète ses charges). Ce système était imparfait, au sens où il ne garantissait pas une concurrence suffisamment vive, ou plutôt que cette mise en concurrence ne permettait pas, in fine, l'émergence d'une compétence supérieure aux autres. On a vu les résultats de l'armée française entre 1792 et 1815, dès lors qu'elle a privilégié l'avancement au "mérite" intégral, soit la fortune (au sens machiavélien) et l'habileté sur les champs de bataille : jamais Bonaparte, Ney, Murat, Lannes, Augereau ou autres ne seraient devenus les brillants militaires qu'ils furent sans cette mise en concurrence féroce. -> les républicains qui soutiennent l'existence des concours au 18e/19e (écoles supérieures, administration, etc) ne me semblent pas motivés par l'idée de former un mandarinat clos sur lui-même (et ont plutôt tendance à regretter qu'il existe quand c'est le cas), mais de faire s'élever les individus méritants jusqu'à leur maximum ; que le système soit ensuite dévoyé par l'effet de la concurrence quasi-naturelle et implacable que mènent les héritiers au sens bourdieusien aux non-héritiers (et sauf exception, l'héritier l'emporte sur le non-héritier), c'est une chose, mais on ne peut pas pousser cette idée jusqu'à celle selon laquelle l'idée méritocratique d'origine aurait pour seul fondement l'ambition d'une classe d'évincer les autres dans la course aux places puis de lui garantir sa position. -> la méritocratie à la française permet même d'assouplir quantité de règles, de mettre l'accent sur telle ou telle compétence, mais à la fin, elle est toujours l'expression d'une idée de mise en concurrence pour "optimiser" le fonctionnement social ; et j'ai toujours eu le sentiment que la fermeture relative des élites était un effet secondaire pas forcément anticipé du choix méritocratique. |
| | | kerloic
Age : 44
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 16:19 | |
| Encore faudrait-il qu'un concours soit la juste sanction du mérite, ce que la sociologie des concours a tendance à nuancer, et ce d'autant que le nombre de sanctionnés positivement est faible... |
| | | Ibarrategui
Age : 42 Localisation : Marineland
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 16:26 | |
| - capitaine Fracasse a écrit:
- Ibarrategui a écrit:
- Tu ne te trompes pas. Mais de toute façon, sur ce point de détail, il faut bien distinguer l'emploi (auquel tu es nommé par une autorité supérieure) du grade (auquel tu accèdes par concours). Un diplomate est généralement arrivé dans son grade par concours, mais il sera nommé dans son emploi par une décision qui passe en conseil des ministres. Idem pour un directeur d'administration centrale.
Le mérite au sens de la plus grande réussite dans certaines évaluations organisées par l'État joue donc pour l'entrée dans un grade, mais pas pour la carrière qu'on y mène.
Ainsi, j'ai accédé par concours à un certain panel d'emplois parce que j'ai eu la chance de réussir une certaine série d'épreuves mieux que d'autres. Mais les emplois que j'ai exercés successivement ne doivent rien à ce concours : c'est là l'effet de différentes décisions de gestion, arbitrées in fine par un haut fonctionnaire nommé en conseil des ministres. Dans mon cas, évidemment, ça a été géré localement, mais à un niveau supérieur, l'autorité hiérarchique et l'autorité politique se confondent. Merci.
Est-ce que cela ne montre pas que nos sociétés se méfient, en fait, de la méritocratie ? Que du moins on ne lui fait pas suffisamment confiance pour attribuer les emplois ? Qu'on se contente du mérite comme lointaine pré-sélection.
Est-il inimaginable, en soi, que l'ouverture d'un emploi de diplomate se fasse lui-même sur concours, parmi les diplomates ? Que pour être nommé à l'ambassade de Washington, il faille réussir un concours fondé sur des éléments ayants trait à la situation politique, géopolitique et culturelle des États-Unis d'Amérique (je dis ça de façon un peu idiote et rapide).
Ou n'est-ce inenvisageable que compte tenu de la volonté du pouvoir exécutif de conserver la main sur l'administration, de sorte à choisir, plutôt que les plus méritants, les plus fidèles, les plus dociles ou les plus convaincus par les politiques que l'on veut suivre ? [Alors que, paradoxalement, si le statut de fonctionnaire est protecteur, c'est, je crois, que le législateur considère que l'administration doit pouvoir rester indépendante du gouvernement.]
-- (Et, en ton cas, je n'ai aucun doute... je crois que la chance, qui aide à réussir les séries d'épreuves mieux que d'autres, accompagne un talent qui permet de saisir les séries d'épreuves mieux que d'autres) Les nominations les plus sensibles sont légitimement à la main d'un gouvernement dès lors que celui-ci est issu de la majorité au parlement, tu ne crois pas ? N'est-ce pas le plus efficace pour lui que de travailler avec des ambassadeurs et des préfets issus de leurs corps respectifs, mais ayant des affinités avec les fonctions administrativo-politiques qu'on va leur demander d'exercer ? À un niveau légèrement inférieur dans la haute administration, les emplois ne sont pas forcément pourvus par une simple nomination de l'autorité hiérarchique, d'autres emplois font l'objet d'une procédure plus classique où les postulants déposent une candidature, sont reçus, écoutés, et où l'autorité choisit à la fin lequel elle décide de sélectionner. On peut presque assimiler cette procédure de recrutement au "concours" que tu imaginais - en tout cas, il y a mise en concurrence et arbitrage des mérites respectifs. Cependant, dans l'hypothèse courante, il faut aussi que le fonctionnaire puisse mener sa carrière sans devoir repasser 50 concours, même légers, sur des fonctions dont on peut imaginer qu'il ne sait pas tant de choses que cela avant de les exercer concrètement. En cela, le système de la séparation du grade et de l'emploi garantit d'une part un tri d'entrée en fonction de critères décidés par l'autorité de recrutement et un fonctionnement "souple" au quotidien, où les emplois peuvent être pourvus facilement en piochant dans le vivier du grade. |
| | | DD
Age : 37
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 16:30 | |
| - kerloic a écrit:
- Encore faudrait-il qu'un concours soit la juste sanction du mérite, ce que la sociologie des concours a tendance à nuancer, et ce d'autant que le nombre de sanctionnés positivement est faible...
C'est toute la question. Les vilains déconstructionnistes (et les Grecs anciens) iraient même jusqu'à demander : le mérite, le mérite, d'accord, mais qui fixe les critères du mérites ? Qui a le mérite de savoir ce qu'est le mérite ? Et si cela n'est pas un savoir mais une décision arbitraire (éventuellement politique), l'idée de mérite n'est-elle pas viciée en elle-même ? Au crédit de cette idée, viendrait que le "mérite" en entreprise existe également, mais selon des critères différents de ceux de l’État. Des Iba répondraient peut-être : certes, mais c'est c'est le moins injuste des systèmes. Parce qu'il y aurait des règles communes (pas même explicites) ? Je ne sais pas si la chose se tient. Ce qui est certain, c'est qu'il me semble difficile d'élever un vice au rang de principe, quand bien même il s'agirait du moins pire. |
| | | Ibarrategui
Age : 42 Localisation : Marineland
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 16:31 | |
| - kerloic a écrit:
- Encore faudrait-il qu'un concours soit la juste sanction du mérite, ce que la sociologie des concours a tendance à nuancer, et ce d'autant que le nombre de sanctionnés positivement est faible...
Remettre en cause la justesse des épreuves qui permettent de trier une cohorte équivaut-il à remettre en principe l'idée même de trier la cohorte ? Nuancer, d'accord, mais quel autre système privilégier qui aurait un effet plus juste ? Pour la médecine par exemple ? Si tu décides d'investir pour former mille médecins dans ton système de santé, et que tu as cinq mille personnes qui postulent, quel moyen plus juste pour décider qui bénéficiera des dix ans de formation que de les faire concourir sur une série d'épreuves, et de retenir les mille premiers ? On sait bien que l'écart entre le 999e et le 1001e est faible, et qu'il est éminemment toxique de voir une prédestination là-dedans, ou une hiérarchie entre eux. Mais je ne vois pas comment faire autrement. |
| | | Bob Lafayette
Age : 50 Localisation : Lorient
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 16:35 | |
| La méritocratie vise l'établissement d'une élite. Le pari d'éducabilité vise la recherche de l'excellence (pousser chaque individu vers la pleine expression de ses moyens) Le premier part du principe qu'il existe des critères qui permettent de hiérarchiser les êtres humains Le second pense que le succès de l'Homme comme espèce vient de la diversité et de la complémentarité de ses profils qu'un discours social et culturel a toujours caché derrière la légitimation idéologique de rapports de pouvoir iniques. - Spoiler:
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| | | DD
Age : 37
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 16:36 | |
| - Ibarrategui a écrit:
- kerloic a écrit:
- Encore faudrait-il qu'un concours soit la juste sanction du mérite, ce que la sociologie des concours a tendance à nuancer, et ce d'autant que le nombre de sanctionnés positivement est faible...
Remettre en cause la justesse des épreuves qui permettent de trier une cohorte équivaut-il à remettre en principe l'idée même de trier la cohorte ?
Nuancer, d'accord, mais quel autre système privilégier qui aurait un effet plus juste ? Pour la médecine par exemple ? Si tu décides d'investir pour former mille médecins dans ton système de santé, et que tu as cinq mille personnes qui postulent, quel moyen plus juste pour décider qui bénéficiera des dix ans de formation que de les faire concourir sur une série d'épreuves, et de retenir les mille premiers ? On sait bien que l'écart entre le 999e et le 1001e est faible, et qu'il est éminemment toxique de voir une prédestination là-dedans, ou une hiérarchie entre eux. Mais je ne vois pas comment faire autrement.
Le meilleur médecin sera-t-il le meilleur matheux ? Les plus attentifs aux patients qu'il aura 10 ans après ? Celui qui s'installera dans un désert médical ? Le problème n'est pas tant le tri que la justification d'icelui par "pour le mérite". |
| | | capitaine Fracasse
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 16:38 | |
| - Ibarrategui a écrit:
- Les nominations les plus sensibles sont légitimement à la main d'un gouvernement dès lors que celui-ci est issu de la majorité au parlement, tu ne crois pas ? N'est-ce pas le plus efficace pour lui que de travailler avec des ambassadeurs et des préfets issus de leurs corps respectifs, mais ayant des affinités avec les fonctions administrativo-politiques qu'on va leur demander d'exercer ?
Je ne sais vraiment pas. Je me doute bien que la raison est là, mais je ne sais qu'en penser... Et pour moi, le concours n'est "méritocratique" que dans la mesure où il se fonde sur des critères qui font consensus et où il assure l'anonymat des postulants. L'entretient me semble peu assimilable au concours que j'imagine. --- J'ai en tête le système de promotion militaire de la Révolution française, par exemple, qui n'est pas comparable..., mais qui semble avoir permis une grande efficacité des armées françaises et, auquel cas, qui avait ses mérites. La promotion se faisait -grosso modo- pour un tiers à l'ancienneté et pour deux tiers par les suffrages. Pour les deux tiers avancés par les suffrages, les soldats d'un grade élisaient en leur sein ceux qu'ils jugeaient aptes à monter en grade et, parmi ceux ayant reçus le plus grand nombre de suffrages, les soldats du grade immédiatement supérieur désignaient ceux qu'ils jugeaient aptes à être des leurs. Il me semble que ce système fonctionnait jusque assez haut dans le commandement, mais évidemment, les généraux -et peut-être quelques grades qui leur sont subalternes- étaient désignés par le pouvoir législatif (ou par une commission exécutive, je ne sais plus exactement). |
| | | kerloic
Age : 44
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 16:41 | |
| Ah mais avoir un regard critique sur le principe et les modalités des concours ne veut pas forcément dire que l'on veuille les supprimer. Mais ça peut amener : à amender les dites modalités (ex : ScPo récemment) ou à éviter des concours avec un nombre de places trop réduit |
| | | capitaine Fracasse
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 16:46 | |
| - DD a écrit:
- du moins pire.
Grammaticalement et sémantiquement incorrect : on dit "du meilleur" ou "du moindre mal". Il ne peut pas y avoir de "moins pire", car il n'y a, par définition, qu'un seul pire, que ce superlatif soit relatif ou absolu. Ce qui est le moins mal est d'ailleurs, par définition, le meilleur. L'on voit que l'incorrection n'est pas que grammaticale et sémantique, car cela change déjà la connotation de ta phrase que de la rédiger correctement : "quand bien même il s'agirait du meilleur" ou "quand bien même il s'agirait du moindre mal".
Dernière édition par capitaine Fracasse le Lun 31 Jan 2022 - 16:48, édité 1 fois |
| | | kerloic
Age : 44
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 16:46 | |
| - capitaine Fracasse a écrit:
- ---
J'ai en tête le système de promotion militaire de la Révolution française, par exemple, qui n'est pas comparable..., mais qui semble avoir permis une grande efficacité des armées françaises et, auquel cas, qui avait ses mérites.
La promotion se faisait -grosso modo- pour un tiers à l'ancienneté et pour deux tiers par les suffrages. Pour les deux tiers avancés par les suffrages, les soldats d'un grade élisaient en leur sein ceux qu'ils jugeaient aptes à monter en grade et, parmi ceux ayant reçus le plus grand nombre de suffrages, les soldats du grade immédiatement supérieur désignaient ceux qu'ils jugeaient aptes à être des leurs.
Il me semble que ce système fonctionnait jusque assez haut dans le commandement, mais évidemment, les généraux -et peut-être quelques grades qui leur sont subalternes- étaient désignés par le pouvoir législatif (ou par une commission exécutive, je ne sais plus exactement). Ca va très bien fonctionner dans un système en expansion ou en fort renouvellement. Mais dans un système stable, les élites installées vont rapidement mettre en oeuvre des méthodes pour assurer la promotion de leurs jeunes |
| | | Ibarrategui
Age : 42 Localisation : Marineland
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 16:46 | |
| - DD a écrit:
- kerloic a écrit:
- Encore faudrait-il qu'un concours soit la juste sanction du mérite, ce que la sociologie des concours a tendance à nuancer, et ce d'autant que le nombre de sanctionnés positivement est faible...
C'est toute la question. Les vilains déconstructionnistes (et les Grecs anciens) iraient même jusqu'à demander : le mérite, le mérite, d'accord, mais qui fixe les critères du mérites ? Qui a le mérite de savoir ce qu'est le mérite ? Et si cela n'est pas un savoir mais une décision arbitraire (éventuellement politique), l'idée de mérite n'est-elle pas viciée en elle-même ?
Au crédit de cette idée, viendrait que le "mérite" en entreprise existe également, mais selon des critères différents de ceux de l’État.
Des Iba répondraient peut-être : certes, mais c'est c'est le moins injuste des systèmes. Parce qu'il y aurait des règles communes (pas même explicites) ? Je ne sais pas si la chose se tient. Ce qui est certain, c'est qu'il me semble difficile d'élever un vice au rang de principe, quand bien même il s'agirait du moins pire. Je suis pragmatique. Dans une multitude de situations, il faut arbitrer entre une demande plus importante que l'offre, et hiérarchiser les demandes en fonction de leur qualités intrinsèques pour optimiser le fonctionnement social, même si c'est pour aboutir à une situation imparfaite ou en partie injuste. Les critères d'évaluation peuvent d'ailleurs être variés, et dans les faits, l'État les a beaucoup fait varier, pour tenter précisément d'insuffler plus d'équité (par exemple en faisant sauter les épreuves de culture générale des concours, et en modulant à la hausse les épreuves techniques, en pariant que la technique est plus facilement appropriée par le travail régulier que la culture générale - ce avec quoi je disconviens, d'ailleurs, mais ce n'est pas le sujet). De plus, j'ai tendance à penser que tout système concurrentiel fonctionne mieux qu'un système dépourvu de concurrence - mais j'admets que ce postulat peut ne pas être partagé dans une assemblée de gauche. Vous savez du reste d'où je parle, j'ai précisément réussi certaines de ces fameuses épreuves de mérite par l'effet a) de ma chance d'avoir à disserter sur des questions accessibles, ou pas trop inaccessibles, b) de l'exploitation des avantages méthodologiques conférés par ma formation initiale, c) de la mise en jeµ de mon héritage culturel et de mes "qualités" personnelles, d) de la conformité de mon caractère et de ma prestation avec les attendus du recruteur, e) de la compréhension simiesque et instinctive de la performance de singe savant qui était attendue de moi. Qu'est ce qui relève là-dedans du mérite ? Je ne sais pas trop. Et je suppose que n'importe quel candidat aurait in fine pu exercer les mêmes fonctions que moi plus tard, et sans trop de peine, mais enfin, il fallait bien faire un choix, et ce choix du mérite n'a pas été sans m'arranger, moi qui étais dépourvu de réseau social et d'entregent. |
| | | DD
Age : 37
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 17:11 | |
| - capitaine Fracasse a écrit:
- L'on voit que l'incorrection n'est pas que grammaticale et sémantique, car cela change déjà la connotation de ta phrase que de la rédiger correctement : "quand bien même il s'agirait du meilleur" ou "quand bien même il s'agirait du moindre mal".
C'est précisément pour des raisons de connotation que je tords la grammaire - Ibarrategui a écrit:
- Je suis pragmatique.
Quand un discours commence ainsi, généralement, c'est pour t'enfumer - Ibarrategui a écrit:
- Qu'est ce qui relève là-dedans du mérite ? Je ne sais pas trop. [...]Et ce choix du mérite
Nous y voilà. C'est toute la question. Le mérite est un concept où s'entrecroisent une valeur absolue et des critères relatifs. Son utilisation dans une communauté sociale ou politique correspond donc à une légitimation absolue (et donc particulièrement dangereuse) des critères relatifs de la dite communauté. Ce n'est pas pragmatique, c'est conservateur. Quand un progressiste comme Kerlo voudra changer les critères, les amender. L'absoluité sise dans l'idée de mérite permet précisément de ne pas avoir ce débat (politique) (et le fait que le capitaine avance les concepts de consensus ou d'anonymat pour le justifier participe entièrement à mon argument), à savoir : 1) quels sont les critères justes de tri ? ; 2) le tri en lui-même est-il juste ?
Dernière édition par DD le Lun 31 Jan 2022 - 17:44, édité 1 fois |
| | | Hildoceras Moderatio in omnibus
| Sujet: Re: La méritocratie Lun 31 Jan 2022 - 17:13 | |
| Je refuse de répondre à vos critères. De toute façon, vous ne me méritez pas. _________________ sed quis custodiat ipsos custodes ?
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| Sujet: Re: La méritocratie | |
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