Naissance d'un pays, d'une nation, d'un état...

En ce moment, je lis "The Sinews of Power - War, money and the English state 1688-1983" (John Brewer, 1989), recommandé il y a quelque temps déjà à moi par Oexmelin.

C'est intéressant, mais j'ai l'impression que j'en apprends presque plus sur Oexmelin lui même que sur le sujet. :D

J'en suis au début, mais quelque chose qui me frappe, c'est le thème du changement d'allégeance du personnel administratif du Trésor Anglais, du Roi en tant que personne (par le biais des "patronages", i.e. des fidélités envers les puissants et leur jeu d'alliances diverses à la cour), à la Couronne en tant qu'idée (i.e. du monarque à la monarchie), au cours du XVIIIème siècle.

Ce livre me semble éminemment éclairer les discussions d'Oexmelin, dont l'un des thèmes central de réflexion, me semble être "qu'est-ce qui définit une nation", "qu'est-ce qui définit un État". C'est pas le seul à réfléchir à ça, hein, ça a l'air d'être un thème majeur en Histoire (et en politique, y a qu'à voir les enfilades sur l'Europe), mais j'ai l'impression que la lecture de cette ouvrage, et les questionnement propres à sa culture (qu'est ce que c'est être Canadien francophone ? Le Québec est-il une nation ?), ont fortement influencé son propre parcours d'Historien.

Oex, suis-je complètement à côté de la plaque ?

En tout cas, c'est un ouvrage de portée beaucoup plus large que ce que le titre y parait, il me semble. :)

Cat

Cat Lord a écrit:

C'est intéressant, mais j'ai l'impression que j'en apprends presque plus sur Oexmelin lui même que sur le sujet. :D

:D C'est une enfilade sur moi, sur Brewer ou sur la génèse des nations ? :D

Nous commençons je crois à nous connaître assez bien tous (après tant d'années...). Il n'y a pas de hasard: si j'ai recommandé le livre, c'est parce que son interprétation m'a influencé / cadrait avec ce que je croyais subodorer. Difficile aujourd'hui (je ne tiens pas de journal) de reconstituer la genèse de mes réflexions à ce sujet. Je ne me souviens plus d'avoir tiré cela, précisément, de Brewer ou de Sharon Kettering (Patrons, Brokers and Clients in Seventeenth-Century France), de Waquet (De la Corruption), de Parker (Twelve who Ruled, sur le Comité de Salut Public) ou de J. F. Bosher (French Finances 1770-1795: From Business to Bureaucracy) ou des discussions avec mon superviseur de thèse ou avec vous sur Paradox (cf: les discussions «bureaucratie» et «empire»).

Citation :

Ce livre me semble éminemment éclairer les discussions d'Oexmelin, dont l'un des thèmes central de réflexion, me semble être "qu'est-ce qui définit une nation", "qu'est-ce qui définit un État". C'est pas le seul à réfléchir à ça, hein, ça a l'air d'être un thème majeur en Histoire (et en politique, y a qu'à voir les enfilades sur l'Europe), mais j'ai l'impression que la lecture de cette ouvrage, et les questionnement propres à sa culture (qu'est ce que c'est être Canadien francophone ? Le Québec est-il une nation ?), ont fortement influencé son propre parcours d'Historien.

Oex, suis-je complètement à côté de la plaque ?

Pas du tout, c'est assez cela - même si je laisse habituellement comme historien la Nation, parce que sa construction, son essence, a attiré davantage l'attention alors que l'État semblait aller de soi (suffisait de constater la marche de l'autorité monarchique...). Au Québec, la genèse de la Nation est effectivement un enjeu majeur de l'historiographie, parce qu'il nous faut un acte de fondation que l'absence d'une Constitution satisfaisante laisse vacant. Si la question me passionne comme «citoyen», elle m'ennuie cependant assez comme historien - du moins pour le Québec. Est-ce que c'est cela qui m'a porté vers l'État ? Je ne sais pas: je me destinais à l'histoire de la France avant tout, j'avais des amis médiévistes qui s'intéressaient aux officiers royaux dans le Languedoc et en Provence. Le contexte nord-américain, où l'État est, par principe, fréquemment remis en cause, a peut-être plus joué - et m'a certainement orienté vers certaines lectures (américaines et canadiennes-anglaises) et un «détachement» par rapport aux enjeux politiques français que je m'amuse toujours à voir resurgir dans les conférences.

Le rapport à l'autorité en général et à l'État en particulier m'a donc toujours davantage fasciné, parce qu'il met en jeu des phénomènes complexes, allégeance, loyauté, coercition, conformisme, bureaucratisation, etc. qui dépassent les groupes familiaux ou ethniques et parce que je ne suis pas satisfait du portrait lisse de l'État-monstre-froid que donne l'historiographie des groupes marginaux et de l'État-machine-huilée de la vieille historiographie politique.

En tout cas je viens de finir ce livre, et c'est une plongée passionnante dans l'Angleterre du XVIIIème siècle.

En partant d'un sujet assez pointu (les changements dans les impôts pour soutenir un "état-guerrier" qui devient une puissance majeure de l'Europe), l'auteur "ouvre" son thème de façon magistrale pour englober bien plus que son postulat de départ: Société, économie, psyche même de la population des Îles Britanniques pendant cette période.

Un livre que je conseille franchement à Pero et kerloïc. Ils devraient tous les deux y trouver largement leurs comptes. Faut parfois s'accrocher un peu, mais ça vaut largement le coup !

Cat

Je vais jeter un coup d'oeil alors. Sais-tu s'il y a une traduction dispo?

Pero Coveilha a écrit:

Je vais jeter un coup d'oeil alors. Sais-tu s'il y a une traduction dispo?

Je ne crois pas, non.

C'est très bien écrit, agréable à lire, un poil littéraire dans la forme (de l'anglais recherché quoi).

Cat

Le niveau de langue ne m'inquiète pas trop (je m'y suis suffisamment mis ces dernières années), c'est plus la difficulté à trouver un exemplaire (enfin il est toujours possible de l'acheter sur le net)

Pero Coveilha a écrit:

Le niveau de langue ne m'inquiète pas trop (je m'y suis suffisamment mis ces dernières années), c'est plus la difficulté à trouver un exemplaire (enfin il est toujours possible de l'acheter sur le net)

Non, il n'est pas traduit - mais je viens de vérifier rapidement et il y en a des copies d'occasion sur amazon.fr.

Je l'avais acheté peu de temps après avoir lu cette enfilade. Par rapport à la moyenne, il est pas resté si longtemps dans la pile "A lire" car je viens de le finir

Et c'est vrai que c'est vraiment très bien (et puis écrit dans un style british agréable, même si l'auteur enseigne aux USA apparemment).

Par contre, ce que j'en retiens n'est pas vraiment la "naissance d'un pays, d'une nation, d'un état...", ce n'est pas vraiment cette genèse là qui est décrite par l'auteur. C'est plutôt celle d'un corps d'Etat (essentiellement constitué des fonctionnaires fiscaux) qui donne une forme nouvelle aux relations de la société avec l'Etat, et des différents corps de la nation entre eux (notamment fisc - Parlement). Pour moi, elle n'invente pas la Nation ou le pays ou l'Etat, mais je trouve intéressant que ça puisse être interprété comme ça, qu'on identifie les deux

La manière dont Brewer intègre à ces questions la guerre, la politique extérieure, les conflits partisans (tory/whig, country/court) ou la nouvelle idéologie bureaucratique est très intelligente, et j'ai trouvé plusieurs points d'accroche féconds pour mes propres centres d'intérêt.

Et oui on comprend tout à fait que Oex en ait fait un livre de chevet Par pure curiosité, je me demande pourquoi tu as pensé à le recommander plus précisément à moi (pour Kerlo je crois aussi voir )

Pero Coveilha a écrit:

Par contre, ce que j'en retiens n'est pas vraiment la "naissance d'un pays, d'une nation, d'un état...", ce n'est pas vraiment cette genèse là qui est décrite par l'auteur. C'est plutôt celle d'un corps d'Etat (essentiellement constitué des fonctionnaires fiscaux) qui donne une forme nouvelle aux relations de la société avec l'Etat, et des différents corps de la nation entre eux (notamment fisc - Parlement). Pour moi, elle n'invente pas la Nation ou le pays ou l'Etat, mais je trouve intéressant que ça puisse être interprété comme ça, qu'on identifie les deux

Ben est-ce qu'un état ou une nation se définit ex-nihilo à partir de données objectives, ou est-ce avant tout une construction subjective des individus qui en font partie ? C'est toute la question, à laquelle ne répond pas Brewer, d'ailleurs, mais pour laquelle il nous donne beaucoup de grain à moudre.

Je suis content que ce livre t'ai plu, en tout cas. :)

Cat

Dans ce cas, Cat (je suis assez persuadé que Pero a déjà lu ça...), tu voudrais peut-être jeter un oeil sur Benedict Anderson, «Imagined Communities».

Oexmelin a écrit:

Dans ce cas, Cat (je suis assez persuadé que Pero a déjà lu ça...), tu voudrais peut-être jeter un oeil sur Benedict Anderson, «Imagined Communities».

qui existe en français d'ailleurs