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 La recherche en sciences humaines - côté cuisine

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MessageSujet: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyMer 28 Mai 2008, 20:02

split de la discussion Démasquer

/Pero


Est-ce que je peux continuer dans les questions naïves ?

Comment formule-t-on la recherche en histoire ?

S'agit-il de répondre à une question, aussi précise que possible, aussi dichotomique que possible ?

Quel est le taux de "déperdition" des publications historiques ? (en gros qui ne sont plus citées après 2-3 ans - dans le domaine biologique on avait évalué avec Klorik et Cat la déperdition à environ 90-95 %)

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyMer 28 Mai 2008, 21:31

Plusieurs choses à répondre, et ça m'énerve de ne pas avoir le temps et de ne devoir écrire qu'approximativement ce que je souhaite dire.

En bref:

La question n'est pas tellement de devoir dire / devoir taire et de s'ériger en censeur. C'est le processus d'insister, d'attirer l'attention et de placer sous les projecteurs des événements que d'autres pourraient juger marginaux (ex: la phrase de Colbert). Démasquer, c'est implicitement le faire au nom d'une tromperie, d'une déformation - pas toujours (et souvent, pas du tout) au nom d'un mensonge éhonté. C'est agir selon la conviction qu'il y a eu ce grossissement indu - parfois par désir pervers de jouer le chien dans un jeu de quilles, de balayer une belle unanimité un peu fleur bleue. Bien que l'aspect «tromperie» / «manipulation » du démasquage me pose aussi problème, j'essaierai d'y revenir plus tard.

Si j'insistais sur l'impossible schizophrénie scientifique-citoyen, je ne vais sûrement pas tenter de séparer à la guillotine le même couple chez l'historien. Entre «démasquer» pour mieux lutter contre les dominants et «lisser» pour créer des catégories opérantes, on peut souvent je crois lire la même arrogance: celle du chercheur qui dit le mieux le vrai contre la perception des gens impliqués. A contrario, l'historien qui lisse et celui qui démasque sont tous deux, également, en train de «jouer leur rôle» d'historien.

Dans les deux cas, par contre, ce qui me reste au travers la gorge avec le démasquage (l'autre type d'intervention étant plus fréquemment dénoncé, on en connaît mieux les écueils), c'est l'idée de déconstruction gratuite (ce qu'elle n'est *jamais*). Une fois que j'ai «démasqué» l'invention de la tradition Mi'kmaq, je me lave les mains de savoir ce qu'est l'identité Mi'kmaq. Je viens simplement de la priver d'une ressource pour se construire. Pero l'a bien saisi: ça me met mal à l'aise, et à chaque fois, j'essaie d'établir des parallèles ailleurs (ce que je fais d'ailleurs au nom d'une conviction universalisante également non démontrée et terriblement citoyenne...), mais déjà, je ne me sens plus ni en territoire «historien» ni en total démasquage.

L'historien est-il condamné à détruire et le citoyen à construire ? Ça m'apparaît à la fois faux et réducteur. L'historien construit, lui aussi, mais de façon presque souterraine (et donc plus difficile à «démasquer» par le citoyen) et l'on connaît combien le citoyen rêve «du «passé [de faire] table rase...».

EDIT: J'ai fait un edit qui a disparu. Je tâcherai de le reprendre plus tard.
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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyJeu 29 Mai 2008, 12:28

Toub a écrit:

Comment formule-t-on la recherche en histoire ?
Ca prendrait des dizaines de MLCB pour répondre à ça :biggrin: Je vais donner quelques éléments brefs, en attendant de trouver un peu de temps pour continuer sur la question de départ, ou qu'Oex complète sa dernière réaction.

Citation :
S'agit-il de répondre à une question, aussi précise que possible, aussi dichotomique que possible ?
La dichotomie oui / non n'est pas le fort des littéraires, tu devrais savoir ça maintenant Razz

Pour utiliser une formule qui vaut ce qu'elle vaut, je dirais que l'intérêt de la recherche historique repose moins la réponse qu'on apporte à une question que dans la manière dont on pose la question.

La démarche classique, c'est celle de l'historien intéressé par un thème, tentant de trouver des sources lui permettant de travailler dessus. Mettons un étudiant en histoire tout à fait lambda qui jouait au pirate quand il était petit. Les pirates, c'est pas mal "écumé" point de vue sources, quand d'autres sont encore largement vierges, et puis au cours de ses études l'étudiant a pu s'intéresser à des questions plus arides comme la politique maritime des Etats au temps de la piraterie, jusqu'à des questions qui n'ont plus rien à voir avec son rêve d'enfant, et qui peuvent être reliées ou non à d'autres intérêts secondaires comme la colonisation française en Amérique. Mettons qu'il se retrouve à travailler sur les échanges commerciaux transatlantiques parce qu'il est tombé sur un bon filon de sources pour ça. En plus, ça le passionne, c'est fou. Simple conjecture, on est dans la what-if history là :biggrin:

IL va s'agir de comprendre le bouzin, les questions pertinentes ne s'imposent pas d'elles-mêmes, il faut se départir de certains a priori (qui sont propres aux chercheurs, partagés par son milieu ou par la société en général). Une loi universelle étant que les questions de départ qu'on se pose avant de travailler sur un sujet sont toujours à côté de la plaque;)
D'abord, qu'est-ce qu'on peut tirer des sources qu'on a disposition? Quelle représentation biaisée elles nous donnent de la réalité historique, et donc quelle est leur représentativité et leur pertinence concernant les problématiques très générales de la compréhension du monde, concernant les problématiques générales de l'histoire, concernant les problématiques spécifiques à l'histoire du commerce, à l'histoire de l'Atlantique, à l'histoire des mentalités, à l'histoire biographique, etc etc? Parmi ce maelstrom de questionnements, l'objet donné par les sources va pousser à en sélectionner "naturellement" certains (par exemple on ne peut échapper à la problématique sur l'investissement de l'Etat français dans ses colonies d'Amérique du Nord) et à en écarter d'autres (les sources sont toujours très parcellaires, certaines problématiques sont impossibles à informer concernant certaines périodes), quand d'autres seront apportées de manière plus circonstancielles : école de pensée de prédilection qui est très souvent aussi celle qui a formé le chercheur, intérêts et atouts personnels de l'historien, collaboration possible avec un spécialiste de tel thème annexe...

En histoire comme en sciences sociales, il ne s'agit pas simplement d'établir des faits, mais de les placer dans un contexte de significations. Tel marchand a acheté tel produit pour l'exporter à telle date : c'est dans les registres, c'est un fait. On pourra peut-être prouver que les registres sont falsifiés, mais c'est encore une autre histoire. Mais ce fait on va le regarder différemment si on s'intéresse d'abord à l'employé qui tient le registre, à l'acheteur, au vendeur, à la transaction, à la production, au transport, à la comptabilité, à l'économie locale, à l'économie globale... Un bon historien (en tout cas à mes yeux) tentera toujours de prendre en considération la multiplicité des points de vue sur un fait "donné", mais lui aussi mettra toujours en signification la rencontre de ces points de vue qui font se produire l'événement, de la même manière qu'il le fera pour une succession de faits. C'est la mise en intrigue.

L'hypothèse de travail, celle qui pose la question "dure" comme tu l'entends, a une fonction différente chez les "mous". On ne peut pas faire le "et si on essaie ça, ça provoque quoi?", par contre on fera du "Et si je m'intéresse au développement de la pensée d'Etat en même temps que je travaille sur l'administration coloniale, est-ce que je comprends mieux et l'un et l'autre? en quoi? ça dit quoi sur les échanges entre les deux?" La question va servir de prétexte pour découvrir en racontant; la réponse est rarement aussi attendue qu'en sciences dures (ça marche, ça marche pas, on n'est pas parvenu à une conclusion). La preuve ne fonctionne pas de la même manière, ce n'est pas "j'ai une intuition concernant les effets de tel enzyme sur telle cellule, je vais essayer de le prouver": comme on est dans une histoire de significations, le gros boulot de l'historien, à côté de l'établissement basique de faits, c'est de convaincre le lecteur du sens correct de son interprétation, de la manière dont il relie les petits points que sont les faits, et qui est bien moins linéaire qu'en sciences physiques par exemple, donc plus sujette à caution. C'est évidemment beaucoup plus casse-gueule :biggrin: Après coup, pour faire bien ou par nécessité de clarté d'exposition, l'historien va reformuler son hypothèse en la présentant de manière plus affirmative, mais la démarche est la même. Ou alors ce n'est pas un très bon historien s'il tente de prouver une hypothèse précise qui n'aura pas été entièrement reformulée dans la confrontation aux sources.


Bon là j'ai pris un exemple tout à fait imaginaire, il nous faudrait un cas plus concret La recherche en sciences humaines - côté cuisine 293843 rien que pour voir comment on


On est assez éloigné de la question du "démasquage", mais effectivement ce n'est pas inutile de poser le questionnement que tu as fait, parce qu'on y touche quand même.

Citation :
Quel est le taux de "déperdition" des publications historiques ? (en gros qui ne sont plus citées après 2-3 ans - dans le domaine biologique on avait évalué avec Klorik et Cat la déperdition à environ 90-95 %)
Il faut voir que ce critère de comptage n'est pas également pertinent dans toutes les disciplines. La direction du CNRS avait voulu imposer (et il me semble qu'elle l'a fait finalement ) le décomptage des références dans un certain nombre de revues pour évaluer l'activité et l'image des labos en sciences sociales et ça avait soulevé un tollé, pour de multiples raisons dont certaines qui s'appliquent notamment aux publications historiques :
- une durée de vie infiniment plus longue de pas mal de publications;
- une lente diffusion des connaissances d'une discipline, voire sous-discipline, voire sous-sous... à une autre;
- une relative autarcie entre disciplines ou thématiques qui provoque des saturations rapides mais à la signification peu évidente;
- le phénomène très fréquent de résurgence d'anciennes études suscité par des "modes" changeantes;
- l'extrême diversité des revues qu'il faudrait consulter pour avoir un aperçu exhaustif des référencements d'articles (parce que si ça se diffuse peu rapidement, ça se diffuse quand même, et loin, et on pourra trouver un article de psychologie du travail citant une étude d'histoire sur les mouvements sociaux, par exemple);
- sans doute d'autres encore qui ne me viennent pas à l'esprit.

Au final, je ne saurais pas répondre à ta question, mais si un chiffre existe il faudrait le prendre avec des pincettes, et encore je ne parlais pas de la déperdition en tatn que telle, mais de l'évaluation du référencement en général.



Bon bin finalement ce post mérite la sig.... J'ai dû employer le mot "bref" à un moment pourtant Rolling Eyes

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyJeu 29 Mai 2008, 16:05

Je ne lis quasiment que des biographies historiques (en sachant que je viens de recevoir deux livres de Bruno Latour et qu'ils se retrouveront bientôt sur le dessus de la pile). On sent très aisément le livre retranscription/adaptation d'un travail de recherche et celui qui s'inscrit dans une perspective plus polémique/politique/didactique, que sais-je.

Notamment dans la description de leur méthodologie, la mise en perspective des sources, leur citation in extenso ou leur référencement précis. Je retrouve dans cette façon de faire un procédé auquel je suis accoutumé dans le "biologique".

Un exemple : http://www.librairiepantoute.com/fichelivre.asp?id=abyjuobfbwpe&/histoire-du-debarquement-en-normandie/olivier-wieviorka/9782020528504, à mille lieux de ce qu'on peut lire généralement sur le débarquement.

Un autre exemple, le livre "mai-Juin 1968" (Dammame, Gobille, Matonti, Pudal) dont on déjà un peu parlé. Je n'ai trouvé que dans 1 seul chapitre une amorce de description méthodologique (chapitre 20 : trajectoires de soixante-huitards ordinaires - pour Pero qui connait apparemment bien les auteurs) : travail amorcé en 2003, "suspendu" en 2005, publié en 2008, avec un échantillonnage : parmi 120 personnes ayant eu des engagements gauchistes des mi-60 à la fin-70 (à Rennes et en Bretagne), 80 sont identifiées, 40 ont donné leur accord pour en entretien, dont 15 ont eu lieu ; et à partir desquels on écrit le chapitre.

Est-ce que des chercheurs en Histoire ou en socio font plutôt référence à ce type de travail ou pas nécessairement ? Est-ce un problème d'école, de formation, de méthodologie de laboratoire ou personnelle ?

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyJeu 29 Mai 2008, 20:20

Pour la présentation de la méthodologie, ça va dépendre du public visé: ça tue une stratégie éditoriale extra-universitaire de passer du temps sur la description ds sources, de la méthode utilisée, etc. Il n'y a que les grands noms à la Le Goff qui peuvent se permettre d'emmerder le lecteur lambda avec ce genre de considérations. Evidemment, je trouve ça dommage mais c'est comme ça.

C'est encore plus vrai pour des bouquins collectifs : chaque auteur n'a que quelques pages pour présenter ses recherches : difficile d'amputer des textes déjà denses pour y glisser des textes qui répugnent déjà aux éditeurs... Ces livres sont plutôt des appels vers des publications plus exhaustives pour les lecteurs qui seraient vraiment intéressés.
Si Neveu l'a fait dans le bouquin sur 68, c'est pour faire voir tout le caractère problématique de son enquête. Mais en réalité il dit peu de choses de la "cuisine"
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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyJeu 29 Mai 2008, 20:47

Pero Coveilha a écrit:

Si Neveu l'a fait dans le bouquin sur 68, c'est pour faire voir tout le caractère problématique de son enquête. Mais en réalité il dit peu de choses de la "cuisine"
On est donc d'accord qu'avec les chiffres qu'il donne il ne peut tirer aucune conclusion de son travail.

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyJeu 29 Mai 2008, 23:33

Pas du tout Razz

Enfin, dans le sens où elle n'est pas encore aboutie, oui je suis d'accord qu'il ne peut pas tirer de conclusions (par contre il trace des pistes très intéressantes), mais quand tu parles de "ses chiffres", c'est autre chose que tu soulignes.

Pour info aux autres lecteurs, il s'agit d'un article exposant une recherche encore inachevée reposant sur des entretiens avec des militants lambda de l'extrême-gauche (et non les sempiternelles vedettes qu'on retrouve dans toutes les commémorations) et visant notamment à comprendre le destin social de cette génération de soixante-huitards (qui, ô surprise, n'ont pas tous fini patrons de presse ou parlementaires).

Tu as dit plus haut que tu apprécies les biographies historiques. Prétendrais-tu que les biographiés individuels sont représentatifs de quoi que ce soit? J'imagine que non, mais est-ce inintéressant pour autant? Pourquoi ce serait différent avec une biographie "collective" (prosopographie étant le terme consacré) ? Ou alors c'est parce que la quasi-totalité des biographies individuelles concernent des "personnages historiques" alors que des anonymes ne mériteraient pas le même traitement?
Peut-être que je suis à côté de la plaque quand j'évoque les raisons qui te poussent à douter de la pertinence de son travail. Alors je me contenterai de rappeler qu'il a pris le soin de souligner dans son article en quoi le groupe de ses interviewés est particulier, et en quoi ses maigres chiffres ne sont pas dénués de toute signification pour notre compréhension globale des "générations 68", bien au contraire.

Il y a d'autres articles dans le bouquin que je ne tenterais même pas de défendre, mais celui de Neveu a une ambition trop rare pour qu'on la balaie pour des imperfections inévitables. Des recherches plus "lisses" ne seront pas meilleures parce qu'elles auront évité de se coltiner le problème crucial des anonymes. Surtout quand on veut traiter d'un mouvement social de masse comme 68.
(et non, ce n'est pas parce qu'il a dirigé mon premier mémoire que je le défends Wink si ce n'est que c'est certainement un élément dans le fait que je suis sur la même longueur d'onde que lui)


Sinon, à moins que tu aies une idée derrière la tête concernant la discussion qu'a voulu engager Oex sur le "démasquage", je vais splitter cette discussion sur la méthode, si tu veux la continuer.
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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyVen 30 Mai 2008, 14:07

Pero Coveilha a écrit:
Sinon, à moins que tu aies une idée derrière la tête concernant la discussion qu'a voulu engager Oex sur le "démasquage", je vais splitter cette discussion sur la méthode, si tu veux la continuer.
Oui et Non. Comme le débat d'Oex tourne un peu entre vous au dialogue (délit ? 👅 ) d'initiés et qu'il semble qu'il n'a pas le temps de répondre vraiment (et il s'en plaint), j'essaie de mieux comprendre ses problématiques en tant que chercheur déjà, avec mon maigre bagage de lecteur de livres d'histoire.

Ensuite je partage tout à fait ton avis sur le fait que le sujet choisi par Neveu est très intéressant (surtout dans mon trip actuel hippie soixanthuitard revival), et j'en ai lu le début en me léchant les babines ; mais les immenses biais méthodologiques m'ont crevé les yeux (alors qu'il exprime très bien les biais sociologiques de son travail). Donc on peut en parler à part si tu penses que ça pollue le message d'Oex, alors que ce n'est pas mon intention.

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyVen 30 Mai 2008, 14:50

Par souci de clarté, oui j'ai préféré séparer les discussions (l'a fallu que je merde un peu dans le splittage d'ailleurs :red:) Oex pourra toujours reprendre quand il aura le temps, c'est pas comme si les enfilades disparaissaient ici La recherche en sciences humaines - côté cuisine 293843
Pour l'enfilade originale, la question de la place de l'intellectuel sur la scène politique concerne pourtant tout le monde, ça m'ennuie de transformer ça en conciliabule. Si toi ou d'autres voulez ouvrir autrement le débat, ne vous privez pas, tant que ça reste dans la problématique de départ. Pour l'instant les participants ne sont pas nombreux, mais chaque contribution est très intéressante


Quant à ce qui est maintenant devenu le sujet:
biais méthodologiques / biais sociologiques : les deux sont intimement liés, dans le sens où les premiers sont toujours étroitement dépendants des seconds
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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyVen 30 Mai 2008, 15:27

Pero Coveilha a écrit:

Quant à ce qui est maintenant devenu le sujet:
biais méthodologiques / biais sociologiques : les deux sont intimement liés, dans le sens où les premiers sont toujours étroitement dépendants des seconds
Tu ne peux pas dire ça.

Je te donne un exemple, extrême, à partir des chiffres contestés, mais qui illustre qu'il faut connaître un minimum de méthodo scientifique.

L'assertion de départ :
- je prends une population de 120 personnes identifiées comme "étaient gauchistes en 1968"
- j'en retrouve 80
- 40 donnent leur accord pour une interview
- je vous livre les résultats de 15 interviews (il s'avère par exemple que 10 % sont toujours impliqués dans la vie politique).


L'assertion témoin
- je prends une population de 120 personnes identifiées comme "étaient fumeuses en 1968"
- j'en retrouve 80
- 40 donnent leur accord pour une interview
- je vous livre les résultats de 15 interviews (il s'avère que 10 % ont un cancer du poumon)

Est-ce que ça veut dire que 10 % des fumeurs font un cancer du poumon ? Non évidemment.

On ne peut rien tirer de ce dernier 10 %. Il n'a aucune chance de refléter la réalité (ou alors totalement aléatoirement, ce qui n'est pas l'objectif d'une étude scientifique, non ?).

Un échantillonnage ne peut interprété que s'il a une chance d'être représentatif de la population de départ. Et il ne peut l'être que s'il a un volume suffisant, (15 c'est un chiffre ridicule), et surtout s'il est tiré au hasard dans la population initiale.

Il est possible que plus de 75 % de la population initiale soit encore militante gauchiste. Ce n'est quand même pas la même chose, comme il est possible que 75 % de la population initiale de fumeurs ait un cancer du poumon.

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyVen 30 Mai 2008, 16:08

Tu prends ça comme si les biais ne faisaient que réduire la représentativité, voire l'annuler. Sauf que si on prend ton exemple des fumeurs, on va se demander pourquoi ce sont ces personnes là qui ont accepté l'interview et pas d'autres. Parmi les raisons, il y aura l'inquiétude plus forte des fumeurs ayant développé un cancer des poumons, et souhaitant témoigner là-dessus, comme un intérêt toujours présent pour la vie politique va susciter une plus grande propension à souhaiter témoigner sur 68.

Autre chose, il signale que pour contacter les témoins de l'époque, il a utilisé les interconnaissances, ce qui exclut d'office tous ceux qui auraient voulu couper les ponts à un moment avec leurs anciens camarades.

Il ya une liste comme ça, je ne l'ai pas en tête mais je peux très bien l'imaginer.

L'auteur est très explicite sur la non neutralité de son groupe de témoins; ça ne veut pas dire qu'on ne peut rien en faire (ce serait dramatique sinon, car ça interdirait toute enquête qualitative et devrait cantonner le chercheur aux enquêtes quantitatives par sondages, qui ont d'autres biais et qui surtout sont à des années-lumière de permettre la même finesse d'analyse)

C'est toi qui considères que le groupe d'interviewés est un échantillon, de la même sorte qu'un échantillon-Sofres, qui serait une image réduite de la population ciblée. Ce n'est pas du tout la prétention de Neveu, et ça me désole que ça puisse être lu comme ça malgré sa présentation.
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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyVen 30 Mai 2008, 16:22

Pero là je suis totalement sur le cul.

Mais bien sûr que c'est un sondage. Sauf qu'il porte sur une petite population non tirée au sort. Qu'est ce que c'est d'autre ?

Bien sûr que ça ne condamne pas les essais qualitatifs si ça lui chante, mais il ne faut pas chercher à en tirer des pourcentages. Ni une conclusion. Juste une description. Qui sera différente s'il en vient à interroger 15 autres témoins. Pas de quoi en faire un article de livre. Même si moi ça m'aurait intéressé de savoir ce que devenaient les anciens gauchistes.

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyVen 30 Mai 2008, 17:01

Non ce n'est pas un sondage, et ça ne se présente pas comme un sondage. Peut-être que c'est ce que veut le lecteur, mais il doit lui aussi se plier à la réalité de ce qu'il est possible de faire. 15 personnes ce n'est pas représentatif, 80 personnes (qui est le total d'individus sur qui il a des données) ce n'est pas représentatif, 120 personnes ce n'est pas représentatif. Pour des populations très vastes en géénral on se repose sur des échantillons d'un millier de personnes -et qui ne sont pas tirées au sort contrairement à ce que tu laisserais entendre. On ne peut pas faire des entretiens de 5 heures avec 1000 personnes. Diviser le travail entre différents collaborateurs (là il en faudrait des dizaines ou centaines) suscite plus de problèmes que ça n'en résoud.

Ca ne veut pas dire qu'on ne peut rien en faire; ça ne veut pas dire que le groupe constitué n'a aucun sens et qu'on pourrait trouver des résultats radicalement différents si on était tombé sur d'autres personnes.

Je me répète, il faut lire ça comme une (ébauche de) biographie collective : ta bio individuelle d'un personnage célèbre n'a rien de représentatif ; mais par la description de sa jeunesse, de ses rencontres par exemple, on t'explique comment il est devenu ce qu'il est : le biographe s'efforce de mettre en relation tous les éléments pour qu'on comprenne comment des tensions qui s'imposaient à toute la société, ou à tout son milieu, ont été vécues par lui, et ce qu'il en a fait

Avec une biographie collective, centrée sur certains critères (ici l'appartenance politique à un moment donné), on peut essayer d'apercevoir la diversité de ce qu'étaient et de ce que sont devenus les témoins : il y a une communauté de trajectoires, qui dessine un espace de possibles (avoir été mao en 68, ça rend possible de devenir patron de presse plus tard, mais exceptionnel ; ça rend probable de devenir prof mais ça rend peu probable de devenir évêque : je prends un exemple extrême, mais tu vois le principe). L'intérêt est de comparer ces trajectoires : pourquoi celui-ci, à partir d'un bagage politique commun, s'est tourné vers l'enseignement et celui-ci dans l'action associative. On met ainsi à jour des logiques. Leur degré de représentativité n'est pas l'essentiel si elles nous permettent de comprendre la différence entre deux individus dont aucun n'est représentatif en lui-même d'une population plus vaste.

Si à chaque fois que le signe % apparaît c'est du quantitatif "à la" Sofres, Ifop, il va falloir utiliser des tournures de phrase plus lourdes alors (je croyais que t'aimais pas ça Razz ) Moi quand je lis que 10% des personnes sur lesquelles il a des données ont encore un investissement politique, ça fait sens. Mon réflexe n'est pas d'en tirer la conclusion que 10% des ex-gauchistes auraient un investissement politique, mais effectivment c'est un réflexe de prudence qui s'apprend, parce qu'on fait facilement dire à un auteur ce qu'il a bien évité de dire.

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyVen 30 Mai 2008, 17:14

Tiens, dans la série "Ca ne sert à rien, mais au moins j'aurais fait coucou et satisfait mon ego", ça me rappelle que mon épreuve orale sur dossier avait justement pour sujet "la prosopographie comme genre historique".
Voilà, c'est dit.

(à la limite, heureusement que c'est moi qui suis tombé dessus, car les 3/4 de l'assistance, facile, ignorait même de quoi il s'agissait)
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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyVen 30 Mai 2008, 19:12

Bin si tu veux te rendre utile, je te refile le bébé, SP Razz

C'est vrai que la prosopo est un genre qui semble avoir du mal à s'imposer. Et c'est vraiment dommage, parce que c'est un des meilleurs moyens que l'on a pour comprendre l'individuel dans le collectif et le collectif dans l'individuel, ce qui en somme fait la texture de l'histoire et de la vie en société en général.
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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyVen 30 Mai 2008, 20:34

Pero Coveilha a écrit:
Bin si tu veux te rendre utile, je te refile le bébé, SP Razz
Ca s'impose ce genre de remarque ? Merci de te faire sentir inutile. Très franchement, si tu veux qu'on arrête de débattre dis le directement.

Pero Coveilha a écrit:
C'est vrai que la prosopo est un genre qui semble avoir du mal à s'imposer. Et c'est vraiment dommage, parce que c'est un des meilleurs moyens que l'on a pour comprendre l'individuel dans le collectif et le collectif dans l'individuel, ce qui en somme fait la texture de l'histoire et de la vie en société en général
Et si elle avait du mal à s'imposer car elle est plus que limitée comme technique ?

Tu sais Pero je suis en médecin spécialisé dans les maladies rares, voire très rares. Alors raisonner sur des cas individuels c'est très évidemment le terreau sur lequel que j'ai établi mon pedigree universitaire (je peux le rappeler si tu veux, mais on n'est pas obligé non plus).

Je gère une base de données unique au monde sur une maladie précise, considérée comme rarissime. Etonnamment elle regroupe environ 120 dossiers. Je sais ce que c'est que d'essayer de tirer des conclusions de cas individuels. Je sais la difficulté de récolter, garder, interpréter ce type d'information, sans grand moyen car loin des financements institutionnels et industriels.

Je connais la méthodologie épidémiologique aussi, vaguement, si tu veux.

Je sais aussi assez bien ce qu'on peut faire dire tout et n'importe quoi à 15 cas parmi 120. En toute bonne foi.

EDIT : rajoutis un peu tardif mais qui ne mérite pas un nouveau message
Pero Coveilha a écrit:
avoir été mao en 68, ça rend possible de devenir patron de presse plus tard, mais exceptionnel ; ça rend probable de devenir prof mais ça rend peu probable de devenir évêque : je prends un exemple extrême, mais tu vois le principe.
Est-ce que ce serait fondamentalement différent avec avoir été scout en 68 ? avoir joué au ping-pong en 68 ? Si au moins l'auteur avait une vague étude cas-témoin, on aurait de quoi débattre.

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyVen 30 Mai 2008, 21:00

Je me permets une petite intervention pour dire que je dois au moins être partiellement d'accord avec Toub. Il y a un manque de réflexion assez sidérant parfois des historiens envers les chiffres, hésitant souvent entre une fascination presque «positiviste» (le quantitatif est neutre, on peut créer des pourcentage avec des groupes de 10 personnes, un écart-type ? pourquoi faire ?), une foi aveugle envers la «science statistique» (faisons l'évolution des bilans financiers de la France de 1550 à 1850: après tout, les chiffres sont sans doute tout à fait comparables) ou encore, une adhésion à des dogmes économiques appliqués «à rebours» et de façon a-historiques («postulons l'information totale des acteurs du marché en 1687»). Et même si c'est possible de se dire que le lecteur «compense» la faiblesse de la démonstration mathématique par les possibilités limitées offertes par l'histoire, je ne suis pas sûr que les historiens eux-mêmes ne pêchent pas par ingénuité.

Quand on a dit cela, par contre, il faut se demander 1) pourquoi les chiffres opèrent une telle hypnose sur le lecteur et l'historien 2) ce que représente la plus-value du quantitatif 3) s'il est possible de faire des généralisations en histoire, ce qui représente la partie émergée d'un vaste débat philosophie non résolu et 4) si les récits, les études qualitatives, les biographies sont donc nécessairement moins «solides» parce qu'elles se plient moins bien à l'abstraction mathématique.
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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyVen 30 Mai 2008, 21:11

Je suis en partie d'accord avec toi, les historiens à part une petite partie n'aime pas trop les affaires économiques (et encore ce ne sont pas forcément les experts en histoire économique qui disent le moins de bêtises) parce qu'on aime des tranches de vie, du souffle , de l'épique, de la passion, pas de la compta mesquine Razz
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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyVen 30 Mai 2008, 21:39

Toub a écrit:
Pero Coveilha a écrit:
Bin si tu veux te rendre utile, je te refile le bébé, SP Razz
Ca s'impose ce genre de remarque ? Merci de te faire sentir inutile. Très franchement, si tu veux qu'on arrête de débattre dis le directement.
C'est pas la première fois que tu prends une remarque tout à fait anodine pour une attaque personnelle, à chaque fois c'est quand il s'agit de ce genre de discussion sur la science. Dans un autre contexte, tu aurais compris que je voulais intégrer SP à la discussion en rebondissant sur le fait qu'il prétendait avoir fait une remarque inutile, et que "refiler le bébé" n'est qu'une expression pour dire qu'on confie une tâche à quelqu'un d'autre. Ces discussions sur la méthode moi ça me passionne, je fais d'ailleurs chier plein de mes collègues avec ça; ce que je craignais c'est qu'on me reproche à juste titre de monopoliser la parole.
Mais quoique je dise, c'est toujours perçu comme agressif par toi, alors que je suis au contraire très content d'avoir cette discussion.
Bref.

Citation :
Pero Coveilha a écrit:
C'est vrai que la prosopo est un genre qui semble avoir du mal à s'imposer. Et c'est vraiment dommage, parce que c'est un des meilleurs moyens que l'on a pour comprendre l'individuel dans le collectif et le collectif dans l'individuel, ce qui en somme fait la texture de l'histoire et de la vie en société en général
Et si elle avait du mal à s'imposer car elle est plus que limitée comme technique ?
Je pense que c'est parce qu'elle est plus difficile à mettre en place, et loin d'être plus limitée, elle est plus ambitieuse, justement pour ce que je dis dans la phrase que tu cites. Elle est dédaignée en partie parce que pour certains historiens "globalisants" ça ressemble trop à de la biographie, et que pour les tenants de la biographie, c'est trop globalisant.

Citation :
Tu sais Pero je suis en médecin spécialisé dans les maladies rares, voire très rares. Alors raisonner sur des cas individuels c'est très évidemment le terreau sur lequel que j'ai établi mon pedigree universitaire (je peux le rappeler si tu veux, mais on n'est pas obligé non plus).

Je gère une base de données unique au monde sur une maladie précise, considérée comme rarissime. Etonnamment elle regroupe environ 120 dossiers. Je sais ce que c'est que d'essayer de tirer des conclusions de cas individuels. Je sais la difficulté de récolter, garder, interpréter ce type d'information, sans grand moyen car loin des financements institutionnels et industriels.

Je connais la méthodologie épidémiologique aussi, vaguement, si tu veux.

Je sais aussi assez bien ce qu'on peut faire dire tout et n'importe quoi à 15 cas parmi 120. En toute bonne foi.
Si tu pouvais tracer plus précisément la comparaison que tu fais, ça m'intéresserait.
Comme je me représente ces maladies orphelines de façon très bête, j'ai du mal à percevoir les relations qu'on peut y trouver entre le général et le particulier.

Citation :

EDIT : rajoutis un peu tardif mais qui ne mérite pas un nouveau message
Pero Coveilha a écrit:
avoir été mao en 68, ça rend possible de devenir patron de presse plus tard, mais exceptionnel ; ça rend probable de devenir prof mais ça rend peu probable de devenir évêque : je prends un exemple extrême, mais tu vois le principe.
Est-ce que ce serait fondamentalement différent avec avoir été scout en 68 ? avoir joué au ping-pong en 68 ? Si au moins l'auteur avait une vague étude cas-témoin, on aurait de quoi débattre.
par rapport au ping-pong, on peut avancer sans trop se risquer que l'investissement affectif dans une organisation d'extrême-gauche à la fin des années 60 était bien plus intense et multidimensionnel que celui de membres d'un club de tennis de table. Même par rapport au scoutisme, les investissements ne sont pas les mêmes dans l'aspect volitif et de réformation de la manière de se représenter le monde, vis-à-vis de son milieu d'origine et de la société en général. Mais quelqu'un qui ferait correctement le même type de travail sur une organisation scoute pourrait certainement trouver des choses très intéressantes.

Si tu veux comprendre les phénomènes sociaux tels que la manière dont les trajectoires sociales prennent forme en général, tu as tapé trop en aval : ce n'est pas à partir d'un bouquin sur 68 que tu vas avoir tous les éléments de réflexion sur l'ensemble des questions de mobilité sociale professionnelle (ou d'autres questions). Ici on prend justement le critère de l'événeemnt 68 pour voir comment il a pu jouer sur les forces sociales plus générales et qui impliquent les clubs de sport comme les mouvements de jeunesse. Tu ne vas pas exiger d'un artcile en géologie de revenir sur l'ensemble des connaissances sur la formation de la planète. C'est un peu pareil ici, et même sans connaissance affinée de la sociologie, le lecteur va pouvoir retirer certains d'élements de compréhension sur 68, et y confronter ses propres représentations "sauvages", comme celle très prégnante de la réussite sociale des ex soixante-huitards, thèse qui prend un coup ici.

Dernièrement j'ai eu un peu la discussion inverse avec Filou sur la vulgarisation des découvertes scientifiques, notamment sur la question de savoir ce qu'il est pertinent de rappeler en termes pédagogiques pour contextualiser telle découverte. Je demandais beaucoup de pédagogie, il en réclamait peu pour que l'information se concentre sur ce qui est vraiment nouveau. Ici les fronts sont renversés, et je sais bien que c'est parce que les spécialisations sont inverses. Mais honnêtement, si dans un article sur 68 on doit faire la revue de l'état de toutes les connaissances sociologiques, on n'avancera jamais et on plongera le lecteur dans la confusion en prétendant l'éduquer.


edit:
Sur l'utilisation aberrante de l'effet-statistique, je suis tout à fait d'accord avec vous, j'en ai fait mon cheveal de bataille depuis un moment maintenant. Mais très honnêtement, ça ne s'applique pas à l'article incriminé.

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyVen 30 Mai 2008, 21:51

Pour avoir fait de l'histoire économique et de l'histoire sociale, c'est clair que j'ai trouvé l'une chiante à mourir méthodologiquement.
Mais essentielle pour mieux comprendre une époque et le social derrière malgré tout.

Pour la discussion sur la méthodologie historique, le tout est une question de sources et d'optimisation de ce que l'on peut faire dire à ces sources (au risque parfois de leur en faire dire plus que ce qu'elles devraient).

On est pas dans le cas de la science "dure" ou l'on peut multiplier les expériences et renouveler le cadre de ces dernières à volonté ou les analyses (ou presque), le corpus est limité et son interprétation même est à la base de la recherche plutôt que de lui servir de matière première.

Le cas témoin était éventuellement réalisable dans le cadre de mai 68 et des acteurs de l'époque, mais comment effectuer un choix de dossiers ? Au hasard ? Des profils de "non-68 huitards" types ? (Ca serait faire un choix subjectif sur lequel on pourrait faire des critiques méthodologiques)
Et qu'est ce que ça nous aurait appris sur les acteurs de 68 ?
(Peut être des choses à vrai dire, mais est ce que ça rentrait dans la problématique posée par le chercheur ?)

Je vais évoquer ma propre (maigre) expérience pour montrer la différence entre la méthodologie des sciences traditionnelles et l'histoire.

Mon prof de master m'a poussé gentiment (vu que j'avais pas trop d'idée) à étudier l'espace européen tel que décrit par les récits de pèlerinages.

Pourquoi ?
Outre un intérêt de ce prof pour le religieux (qui n'explique que très indirectement (par la connaissance des sources en fait) le choix du sujet)
Parceque c'est une ressource littéraire relativement abondante (pour l'époque) et qui vers la fin du moyen âge abandonne de plus en plus le coté mystique de l'expérience pour rentrer dans le domaine ethnographique, touristique, culturel.
Pourquoi l'espace européen (plus limité que ça en fait, mais ça reste l'idée) ?
Parceque le voyage en terre sainte à proprement parler à déjà été très travaillé, étudié, décortiqué.
Les parties des récits concernant le début du voyage moins (et on va le voir, il y a probablement un excellente raison à cela... :D )

Donc, j'avais potentiellement accès à des regards personnels sur le thème du voyage, de la différence, du regard sur l'autre, la curiosité envers l'inconnu etc
Mais aussi des données plus terre à terre, quelles routes ? Etapes ? Péages etc

Il voulait à la base que j'étudie par ce biais la suisse, problème, je ne parle pas allemand, donc je dois me contenter des récits de voyageurs français, pas trop grave pour un mémoire de master on va dire.

Mais première difficulté méthodologique quand même (qu\'une étude plus sérieuse aurait du affronter (faire traduire, apprendre soi même etc)).

Deuxième difficulté, c'est la France + la suisse que j'étudierais au final... Hé oui, au grand dam de mon prof (ce qui m'a étonné), les voyageurs français passent majoritairement par le couloir rhodanien et le mont Cenis plutôt que par la Suisse et le Saint Bernard...
Les seuls à le faire sont ceux partant des Flandres, ils longent le Rhin puis passent par la Suisse.

Troisième difficulté, même avec la meilleure volonté du monde, le matériel est trop lacunaire pour en tirer quoi que ce soit si je me contente du territoire français toujours très sommairement décrit, même par les auteurs les plus prolixes (c'est un récit de voyage, on ne parle que de ce qui marque, donc de ce qui est différent, de ce que le lecteur ne connait pas et sera ravi de découvrir).
Donc, au final le territoire couvert sera tout le début du voyage, jusqu'à Venise, lieu de départ de la plupart des pélerins, en y incluant même les pélerinages en Italie pour les quelques uns qui le font (Rome etc).

Mais voilà, tous ne passent pas par Venise et l'Italie, j'en ai qui partent de Marseille, d'autres qui passent par la catalogne etc.

Enfin, retour du problème numéro trois, pour 90% des voyageurs, le récit avant Venise se limite à un itinéraire, plus ou moins exhaustif (pourcentage à la louche, mais sur la trentaine de récits que j'ai décortiqué à l'époque (pour un travail que je n'ai jamais finit) je dois en avoir deux ou trois, pas plus, qui donnent des détails plus variés)

Or Venise, c'est déjà aussi plus qu'étudié (donc en dehors de mon champ pour un travail aussi basique qu'un mémoire qui n'apportera certainement rien d\'extraordinaire à une relecture de sources déjà connues (peut être la mention d'une même relique dans deux églises différentes de Venise ? Razz).

En fait, le gros des données que j'ai pu réunir c'est des pourcentages de mes voyageurs à passer par tels ou tels itinéraires et broder un peu sur ces derniers (description des lieux d\'étapes, existence d'hopitaux, de chapelles, lieux de pelerinage secondaires, histoire des cols des alpes, de leur fréquentation, aggrandissement, abandon ou au contraire développement (avec un très beau récit du XVéme par un voyageur qui passe par la passe du Brenner et l'autriche juste au moment ou le duc fait aggrandir le passage avec des explosifs)

J'ai aussi, bien sur, travaillé sur la biographie des auteurs et leur origine, classe, éducation etc
Sur les styles de récits, les détails privilégiés etc et essayer d'y trouver des éléments de réflexions et une logique.
Sur les changements stylistique dans les récits entre le début du moyen âge et la fin.

J'aurais sans doute pu en faire un mémoire honorable à défaut d\'être révolutionnaire ou très intéressant, mais j'ai laissé tomber.

Je tournais autour du pot sans trouver de réelles problématiques qui relient vraiment le tout (et puis il y a d'autres raisons, mon caractère n'y est pas étranger).

Tout ça (je me suis un peu emballé et j'ai fait un plclb) pour simplement montrer (et redire) que bien souvent, les difficultés méthodologiques en histoire sont de réussir faire parler les sources existantes (et essayer de leur faire dire des choses intéressantes), plus que de répondre à une question.
Je pense même qu'un ouvrage d'histoire peut ouvrir plus de questions qu'il n'en résout sans que cela soit une faiblesse.


Dernière édition par Keyser Pacha le Ven 30 Mai 2008, 22:04, édité 2 fois
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Oli le Belge

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyVen 30 Mai 2008, 22:00

Bon, aussi n'oublions pas qu'on est tributaire des archives pour de nombreuses périodes...les grands échantillons c'est souvent impossible...

exemple: j'analyse l'ampleur des guerres de Louis XIV sur les villes du Hainaut. Très rapidement je vais me rendre compte que je peux faire ca pour 2-3 villes...le reste des archives ayant disparu au fil du temps. Je vais donc tirer des conséquences de ce qui se passe dans une province à partir de 2-3 villes...
Ca ne choquera pas grand monde. D'ailleurs, faire plus est impossible [et je ne vais pas abandonner le sujet quand même...]

Par contre, si je rendais compte de l'ampleur de la guerre civile de l'ex-Yougoslavie en Bosnie en analysant le destin de 3 villes [au hasard] je ne pense pas que ca ferait très sérieux




Sinon, un prof nous avait sorti une belle métaphore sur le travail de l'historien, le passé est dans la pièce d'à côté et les archives sont comme des trous dans le mur...c'est en regardant à travers eux que l'on doit se faire une idée de la pièce.


EDIT: grillé par Keyser
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Toub

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptySam 31 Mai 2008, 13:57

Pero Coveilha a écrit:
Si tu pouvais tracer plus précisément la comparaison que tu fais, ça m'intéresserait.
Comme je me représente ces maladies orphelines de façon très bête, j'ai du mal à percevoir les relations qu'on peut y trouver entre le général et le particulier.
Je ne mets pas en parallèle le devenir sociologique de soixanthuitards et de patients atteints de maladies orphelines. Je n'ai pas la prétention ni les connaissances pour ça. Ce que je peux comprendre c'est la difficulté à tirer des informations valides de petits échantillons. Pour reprendre l'exemple de 15 parmi 120. Je peux faire différentes catégories de 15 patients, apparemment anodines, telles que je les ai vécues :
- les 15 premiers malades que j'ai pu voir
- les 15 patients que je voyais régulièrement quand j'exerçais à Paris
- les 15 patients que je vois maintenant que je suis à Nantes

Ils définissent tous des populations différentes, apparemment très homogènes, avec des biais de sélection parfois subtils, mais qui font que leur description ne reflète pas du tout l'expérience que j'ai des 120, qui de toute évidence n'est pas le reflet de la réalité de cette maladie.

La seule chose que je dis depuis le début de cette discussion c'est que l'auteur est très ambigu dans l'écriture de son article. Je ne souhaitais pas rentrer dans les détails car ce ne ma paraît pas intéressant au titre 1) du sujet de l'enfilade d'Oex, 2) dans un article sur la méthodologie des sciences humaines.

Hors dans cet article, l'auteur ne parle pas vraiment de biographies parallèles (et s'il voulait le faire il aurait du faire apparaître au moins brièvement les 15 bioraphies alors qu'objectivement il ne cite que quelques ligne du discours d'un de ses témoins). En revanche il parle de sa méthodologie, des chiffres (je me répète mais 120 puis 80 puis 40 puis 15), comme si ça apportait quelque chose à sa démonstration. Hors selon toute évidence méthodologique non. Il cherche à décrire 15 destins, soit, mais imaginer que ça reflète ce que sont devenus les militants gauchistes de mai 68 ce n'est pas vrai. Et il tire des conclusions d'ordre très générale (4 tendances générales sociologiques du désengagement politique ...). Par ailleurs il ne fait allusion nulle part, et notamment pas dans les 29 références de son article, à d'autres travaux sur le même sujet. De lui même il ne cite qu'un article sur "la critique du néo-polar".

Si ce sujet est totalement vierge de recherche (ce qui serait étonnant 40 ans plus tard), il ne faut certainement pas chercher à en faire un chapitre globalisant.

Et dans la mesure ou cet article est tiré d'un gros livre de sociologie fait par des universitaires, je m'interroge beaucoup sur leurs compétences méthodologiques, pas sur leur bonne foi ni sur le volume de leur travail.

Là on rejoint le message de Keyser. Parfois les données qu'on a sont telles qu'on ne peut pas en tirer grand chose. C'est dommage pour le savoir mais c'est inéluctable. Beaucoup d'études sont faites et n'aboutissent pas pour des raisons purement méthodologiques. Beaucoup ne devraient même pas être débutées car elles ont de toute évidence des biais rédhibitoires d'emblée. On n'est pas obligés d'interpéter les données biaisées que l'on a.

Et je repose là une question à laquelle on se retient bien de me répondre depuis le début : comment formule-t-on la recherche en histoire (puisqu'il y a beaucoup d'historiens) ou en sciences humaines (puisque tu es là) ? J'imagine que j'apparais assez abruti pour qu'il soit nécessaire de me dire que ce n'est pas la même chose qu'en physique des particules. Bon c'est dit, je suis moins abruti. Mais quand même.

Je reprends la problématique de Neveu, et des mes exemples débiles qui ont été pris au premier degré.

Que sont devenus les soixanthuitards 40 ans plus tard ?
- soit il a une approche globale du problème et il décrit la population identifiées, mais pas à partir de 15/120. S'il n'en que 15 il peut juste raconter 15 histoires, qui ne vaudront que par elles-mêmes. Imaginons que 30 gauchistes déçus par mai 68 aient décidé secrètement de partir au VietNam et y soient morts. Ils sont évidemment dans les 40 perdus de vue, mais toute la démonstration devient bancale. Invraisemblable ? Pas pour moi, ni humainement, ni politiquement, encore moins méthodologiquement.
- soit il n'en a que 15 sur 120 et il cherche à répondre à des questions auxquelles il peut répondre : ont-ils un engagement encore plus marqués que d'anciens scouts, que d'anciens sportifs, et il fait une étude cas témoins (et encore je pense qu'il n'a pas assez de sujets d'étude). Il peut dans ce cas essayer de répondre à "l'engagement gauchiste est-il durablement significatif au regard de la société de mai 68"

On retire de l'article l'idée que moins de 10 % des gauchistes militent encore. Ca paraît plausible. Mais si on y réfléchit moins de 10 % de 15 sujets, ça fait 0 ou 1 sujet :!: . Il suffirait que les 16èmes et 17èmes interrogés aient encore une activité pour que tout son raisonnement ne tienne plus.

Chercher à tout prix à répondre à une question mal posée, ou avec des moyens mal étayés méthodologiquement, est la meilleure façon d'y mal répondre.

Et franchement j'aimerais bien qu'on réponde à mes questions naïves depuis le début, ou au moins à celle là : qu'est-ce qu'une science humaine ? Une discipline où l'on s'astreint à une certaine méthodologie ? Quelle est la méthodologie minimale commune entre toutes les sciences ?

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptySam 31 Mai 2008, 18:15

Toub a écrit:
Pero Coveilha a écrit:
Si tu pouvais tracer plus précisément la comparaison que tu fais, ça m'intéresserait.
Comme je me représente ces maladies orphelines de façon très bête, j'ai du mal à percevoir les relations qu'on peut y trouver entre le général et le particulier.
Je ne mets pas en parallèle le devenir sociologique de soixanthuitards et de patients atteints de maladies orphelines. Je n'ai pas la prétention ni les connaissances pour ça. Ce que je peux comprendre c'est la difficulté à tirer des informations valides de petits échantillons. Pour reprendre l'exemple de 15 parmi 120. Je peux faire différentes catégories de 15 patients, apparemment anodines, telles que je les ai vécues :
- les 15 premiers malades que j'ai pu voir
- les 15 patients que je voyais régulièrement quand j'exerçais à Paris
- les 15 patients que je vois maintenant que je suis à Nantes

Ils définissent tous des populations différentes, apparemment très homogènes, avec des biais de sélection parfois subtils, mais qui font que leur description ne reflète pas du tout l'expérience que j'ai des 120, qui de toute évidence n'est pas le reflet de la réalité de cette maladie.
Mais quelles différences remarques-tu? Es-tu capable de relier ses différences avec les biais de sélection du groupe? Par exemple les 15 premiers malades que tu as pu voir peuvent avoir des qualités communes comme par exemple le degré de manifestation de leur maladie. Je dis n'importe quoi parce que je n'y connais rien, mais en sciences sociales, les biais méthodologiques ne sont jamais déconnectés des biais sociologiques. On sait par exemple que si on procède par effet "boule de neige" pour la recherche de témoins, on va tomber sur des personnes qui ont gardé des contacts entre eux, et donc beaucoup plus difficilement sur des personnes qui auront rompu avec leurs anciens camarades. On sait aussi que les personnes les plus disposées à témoigner sont celles qui se sentent investies d'une légitimité à parler d'une part, et celles qui sont en conflit d'autre part.
Pour toi les biais méthodo introduisent du hasard : on ne sait pas sur qui on va tomber en prenant une portion réduite de la population globale; ce n'est pas le cas ici : la sélection d'un groupe réduit introduit des biais qu'on peut s'efforcer de contrôler, jamais totalement bien sûr, mais c'est aussi pour ça qu'on ne va pas prétendre que la réalité de l'ensemble des ex soixante-huitards est représentée : ce sont des logiques sociales qu'on veut pointer; ces logiques traversent les biographies de tous les individus. Une seule biographie suffirait pour faire comprendre leur action sur la vie d'un individu; le croisement de bios permet une "valeur ajoutée" en permettant de mieux prendre en compte les interactions entre le général et le particulier. Le représentativité n'est pas ce qui compte le plus ici.

Citation :
La seule chose que je dis depuis le début de cette discussion c'est que l'auteur est très ambigu dans l'écriture de son article. Je ne souhaitais pas rentrer dans les détails car ce ne ma paraît pas intéressant au titre 1) du sujet de l'enfilade d'Oex, 2) dans un article sur la méthodologie des sciences humaines.

Hors dans cet article, l'auteur ne parle pas vraiment de biographies parallèles (et s'il voulait le faire il aurait du faire apparaître au moins brièvement les 15 bioraphies alors qu'objectivement il ne cite que quelques ligne du discours d'un de ses témoins). En revanche il parle de sa méthodologie, des chiffres (je me répète mais 120 puis 80 puis 40 puis 15), comme si ça apportait quelque chose à sa démonstration. Hors selon toute évidence méthodologique non. Il cherche à décrire 15 destins, soit, mais imaginer que ça reflète ce que sont devenus les militants gauchistes de mai 68 ce n'est pas vrai. Et il tire des conclusions d'ordre très générale (4 tendances générales sociologiques du désengagement politique ...).
J'ai rebondi sur le terme de "biographie" parce qu'originalement ta question portait sur l'histoire (la biographie est un genre historique, pas trop sociologique) et parce que tu as signalé que tu en étais lecteur et que j'ai voulu m'appuyer dessus pour te faire comprendre certaines choses. Un sociologue n'utilisera pas le même vocabulaire, il préférera parler d'étude de trajectoires sociales, par exemple (ça dépendra de son école). Et surtout il frissonnera quand tu lui parleras de biographies parallèles, même si je ne pense pas que tu aies prêté attention aux termes que tu employais : on ne travaille pas sur des bios parallèles, mises les unes à côté ou au bout des autres, on travaille sur le tout, dont on ne saurait faire ressortir vraiment les singularités sur une dizaine de pages.

Par ailleurs, l'analyse des 15 interviews est faite en regard des données qu'il a sur les 80. D'où l'intére^t de dire comment et pourquoi il arrive aux 15. Le fameux pourcentage sur les militatns encore actifs vient de là, c'est dit explicitement; tu peux critiquer son utilisation des chiffres, mais au moins fais-le sur l'utilisation qu'il fait effectivement.

C'est le lecteur qui cherche de l'exhaustivité dans le texte, pas l'auteur : les 4 modes de sortie sont les tendances au désengagement identifiées; peut--être n'y sont-elles pas toutes, mais les différences entre les 4 existent, et elles prennent sens par rapport aux critères qu'il a relevé. Un chercheur pourrait lire cette enfilade et repérer des tendances, et essayer de les regrouper par catégories. Ca ne veut pas dire qu'il aurait un échantillon représentatif des utilisateurs du net, ou des forums de geeks, ou de ce qui passent leurs samedis après-midi à discuter de méthodo en sciences sociales, mais ça ne veut pas dire non plus que ce qu'il écrirait n'aurait forcément aucun sens.

Citation :
Par ailleurs il ne fait allusion nulle part, et notamment pas dans les 29 références de son article, à d'autres travaux sur le même sujet. De lui même il ne cite qu'un article sur "la critique du néo-polar".

Si ce sujet est totalement vierge de recherche (ce qui serait étonnant 40 ans plus tard), il ne faut certainement pas chercher à en faire un chapitre globalisant.
C'est peut-être étonnant mais c'est le cas. Le 68 des anonymes reste un terrain en friche. Les organisations, les grands noms, les institutions, tout ça a été battu et rebattu, mais pour le gréviste lambda c'est une autre histoire. Et encore ici Neveu travaille quand même sur des militants. C'est parce que le chercheur s'affronte à un gros problème de sources, et aussi très souvent parce que pour la plupart des universitaires comme du public, ce n'est pas un sujet légitime... et qu'on s'attire plus facilement les critiques en s'y essayant (cette allusion-ci est voulue Wink )
Et l'article ne se donne pas globalisant mais comme un ébauche de recherche.

Citation :

Là on rejoint le message de Keyser. Parfois les données qu'on a sont telles qu'on ne peut pas en tirer grand chose. C'est dommage pour le savoir mais c'est inéluctable. Beaucoup d'études sont faites et n'aboutissent pas pour des raisons purement méthodologiques. Beaucoup ne devraient même pas être débutées car elles ont de toute évidence des biais rédhibitoires d'emblée. On n'est pas obligés d'interpéter les données biaisées que l'on a.
euh ma défense jusqu'ici ça a été de ne pas donner au texte de Neveu des prétentions qui n'y sont pas. Tu aurais voulu un groupe de témoins représentatifs, c'est impossible. Tu réclames de l'exhaustivité, c'est impossible. Mais ces deux critères ne sont pas absolument indispensables pour notre compréhension des faits historiques et sociaux.

Maintenant il faut faire attention à un autre enjeu : il ne faut pas renoncer devant la difficulté, et notamment la rareté des sources, parce qu'on va se retrouver avec une surreprésentation de l'histoire officielle, parce qu'elle dispose sans trop de problèmes de sources. Particulièrement gênant quand on veut traiter de mouvements sociaux... Et il ne s'agit pas que d'eux : des pans entiers de l'histoire humaine nous resteraient inconnus si des historiens n'avaient pas fait preuve d'imagination méthodologique.

Citation :

Et je repose là une question à laquelle on se retient bien de me répondre depuis le début : comment formule-t-on la recherche en histoire (puisqu'il y a beaucoup d'historiens) ou en sciences humaines (puisque tu es là) ? J'imagine que j'apparais assez abruti pour qu'il soit nécessaire de me dire que ce n'est pas la même chose qu'en physique des particules. Bon c'est dit, je suis moins abruti. Mais quand même.
C'est mon premier post dans cette enfilade, sur lequel tu n'as pas réagi. Manifestement je me suis mépris sur ce que tu entends par "la formulation de la recherche en sciences humaines", donc merci de clarifier ta question.

Citation :

Je reprends la problématique de Neveu, et des mes exemples débiles qui ont été pris au premier degré.

Que sont devenus les soixanthuitards 40 ans plus tard ?
- soit il a une approche globale du problème et il décrit la population identifiées, mais pas à partir de 15/120. S'il n'en que 15 il peut juste raconter 15 histoires, qui ne vaudront que par elles-mêmes. Imaginons que 30 gauchistes déçus par mai 68 aient décidé secrètement de partir au VietNam et y soient morts. Ils sont évidemment dans les 40 perdus de vue, mais toute la démonstration devient bancale. Invraisemblable ? Pas pour moi, ni humainement, ni politiquement, encore moins méthodologiquement.
- soit il n'en a que 15 sur 120 et il cherche à répondre à des questions auxquelles il peut répondre : ont-ils un engagement encore plus marqués que d'anciens scouts, que d'anciens sportifs, et il fait une étude cas témoins (et encore je pense qu'il n'a pas assez de sujets d'étude). Il peut dans ce cas essayer de répondre à "l'engagement gauchiste est-il durablement significatif au regard de la société de mai 68"
merci de lui communiquer ses problématiques, il sera très content d'apprendre sur quoi il travaillait, malgré ce qu'il pensait.
Il ne s'agit pas pour lui de démontrer si les ex soixante-huitards sont plus ou moins engagés que les autres aujourd'hui, mais de comprendre ce qu'il ont fait de leur "capital" militant dans les 40 années qui ont suivi, et ce qu'ils sont aujourd'hui (c'est très explicitement une analyse rétrospective : que sont les ex soixante-huitards de nos jours?). Comme ce serait intéressant de savoir ce qu'ont fait les ex scouts de leur expérience. Maintenant savoir si l'engagement est plus ou moins déterminant que d'autres engagements, c'est une toute autre question à laquelle il ne s'est jamais proposé de répondre.

Citation :

Et franchement j'aimerais bien qu'on réponde à mes questions naïves depuis le début, ou au moins à celle là : qu'est-ce qu'une science humaine ? Une discipline où l'on s'astreint à une certaine méthodologie ? Quelle est la méthodologie minimale commune entre toutes les sciences ?
La question est peut-être un chouïa trop vaste pour y répondre de façon satisfaisante en quelques lignes, non? surtout quand tu ne prends même pas en considération les réponses qu'on fait à tes "questions naïves".
Et si ça doit dériver en : les sciences humaines sont-elles des sciences? il fallait le dire tout de suite, parce que la question ne touche pas que la méthodo. Une des difficultés reposant sur le fait que les historiens excluent généralement eux-mêmes leur discipline du champ de la science. Cette discussion ayant son origine dans une enfilade créée par un historien, je ne sais pas où mettre les pieds. (Rappel : sciences humaines = sciences sociales + histoire; c'est d'ailleurs souvent plus une définition administrative qu'autre chose).

Alors je me contenterai d'une réponse à la va-vite, qui soulève plus de questions qu'elle n'est une réponse.
Science : ensemble des connaissances humaines établi de manière systématique; susceptible d'être vérifié et universalisé dans l'espace propre de chaque discipline scientifique. Les sciences humaines étudiant l'homme en société. La méthode minimale ne peut être établie que de façon imprécise, reposant sur l'accès rationalisé à la réalité, une normalisation des pratiques permettant la confrontation avec les pairs, l'accumulation des savoirs.

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyDim 01 Juin 2008, 17:55

Il y a aussi un truc: comme on fait des sciences humaines, on a pas trop d'idée sur comment les scientifiques se posent des questions...[en fait, là, je retourne simplement la question de Toub].


Bon, d'après mon expérience en recherche, en histoire, la question revient plutôt à savoir comment on est passé de la situation A à la situation B [en supposant au départ qu'il y a un lien entre A et B...].

Donc, avec l'exemple que vous utilisez depuis le départ:

la situation A est "les militants de mai 1968" et la situation B est "ceux de mai 1968 aujourd'hui". L'auteur, en étudiant les trajectoires va chercher comment ils sont passés de A à B.
Un truc qui me dérange dans ce sujet, c'est que si le nombre de ceux qui se sont laissés interrogés est peu élevé, les autres [120] on les a identifié, on sait ce qu'ils sont devenus aussi...le seul truc c'est qu'ils ne veulent pas parler directement, mais parce qu'on peut savoir sur eux, on peut en tirer des infos quand même...


PS: m'étant spécialisé en Temps Modernes, je n'ai jamais abordé la question des témoignages contemporains par interview....c'est un truc un peu particulier finalement en Histoire...qui pose souvent des problèmes.
[ca j'en avais discuté avec l'historienne française qui avait écrit sur les tortures en Algérie (Sylvie Thénault)]
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Toub

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine EmptyDim 01 Juin 2008, 20:44

Juste deux choses ce soir. Je me suis tapé quatre heures de kermesses et je suis exténué mais :

1) mes excuses à Pero. Je pense que j'ai du rater un-deux messages dans le split qu'il a fait et j'ai donc raté des réponses à mes questions naïves. Ca ne résoud pas mes interrogations mais ça mérite en effet de les relever et d'en discuter.

Je suis tout à fait d'accord avec la définition de la science que tu donnes. Pour avancer encore un peu, est on d'accord que n'est un "fait scientifique" que quelque chose qui est publié dans une revue avec comité de lecture (c'est à dire avec la critique de pairs, idéalement saisis pour leurs compétences dans le domaine et jugeant en aveugle et anonymement un manuscrit - en sachant bien sûr que de vrais experts savent généralement qui dans "le milieu" travaille sur quoi et quand).

2) @ Oli. J'essaierai d'illustrer ça cette nuit pendant une insomnie ou demain avec des exemples vécus. Sans chercher à revenir sans fin sur cet article, l'auteur a "localisé" 80, et 40 ont accepté de répondre à un questionnaire. Cela peut vouloir dire que 40 autres ont refusé, ou plus probablement que ces 40 n'ont pas vraiment été sollicités pour répondre (faute de temps ou autre, mais ce serait intéressant de le savoir)

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