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 La recherche en sciences humaines - côté cuisine

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Pero Coveilha
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BaronKray




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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine - Page 2 EmptyDim 1 Juin 2008 - 20:52

Toub a écrit:
Je suis tout à fait d'accord avec la définition de la science que tu donnes. Pour avancer encore un peu, est on d'accord que n'est un "fait scientifique" que quelque chose qui est publié dans une revue avec comité de lecture (c'est à dire avec la critique de pairs, idéalement saisis pour leurs compétences dans le domaine et jugeant en aveugle et anonymement un manuscrit - en sachant bien sûr que de vrais experts savent généralement qui dans "le milieu" travaille sur quoi et quand).

Cela arrive de se voir demander de suggerer les reviewers, ou on les connait de toute facon. Et disons que du cote "evaluateurs", ils connaissent le nom des auteurs (et souvent connaissent ausi les personnes dans la vraie vie, au moins les managers, lorsque l'on fait partie de la meme "communaute scientifique").

D'ou l'interet des competences sociales en tant que chercheur :red: ...

Il faut se rendre compte que qd on evalue un paper, on a juste un bout de papier devant soit, et des gens intelligents peuvent assez facilement masquer des vices de formes/raccourcis.

De plus, ne pas oublier que meme si les reviewers sont des "pairs", cela ne veut pas pour autant dire qu'ils ont une connaissance approfondie du sujet du paper. Donc le comprennent parfois pas entierement (ou passeront au dessus de certains trucs, forcement...).

En info, on voit un gazillon de papers sur des nouvelles applications, souvent relativement buggees ou partiellement implementees (ou avec un paquets de problemes qui sont "masques" pour le reviewer). Il me semble que l'on juge un papier essentiellement sur sa nouveaute...

Exemple pour toi Toub, un chercheur lambda utilise X methode et decouvre que d'apres cette methode telle maladie est liee a telle gene. Mais cela ne veut pas dire que la maladie est liee au gene, c'est juste cette methode qui indique ca. Un autre chercheur utiliseras une autre methode, et il se peut que cela confirme ou mette un doute sur le resultat.

Il faudra donc plusieurs papers pour vraiment etablir un fait scientifique.
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Pero Coveilha
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Pero Coveilha


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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine - Page 2 EmptyLun 2 Juin 2008 - 9:16

@ Toub

a) Mes condoléances pour la kermesse.

b) Je m'inquiète moins sur la manière dont se sont déroulés nos échanges Wink

c) Je m'amuse un peu que pour "fait scientifique", tu insistes non sur ses qualités intrinsèques mais sur la manière dont il est reconnu. Mais en cela je suis totalement d'accord avec toi, les deux aspects jouent.

Mais comme dit Tam, le passage par la revue est plus problématique que ça (même sans revenir sur ce qu'il a dit) : l'établissement de la scientificité du "fait" a un long cours. Ca a un sens particulier pour les sciences humaines, qui ne peuvent se contenter d'isoler des faits (ça n'aurait aucun intérêt de publier la découverte d'un fait simple unique : il s'agira toujours d'au moins un fait complexe aux multiples facettes). Ce n'est même pas qu'elles ne peuvent pas s'en contenter, elles ne peuvent tout simplement pas le faire.

Ca veut dire plusieurs choses : l'article est moins central en sciences humaines, il ne se suffit jamais en lui-même, il renvoie toujours à la recherche plus globale qu'il ne peut réduire qu'en l'amputant; on est assez loin du résumé et de l'énoncé de résultats dans les sciences dures (où là on pourra renvoyer au rapport de recherche pour des détails, tandis que c'est le récit complet qui donne vraiment la valeur d'une étude historique par exemple). D'ailleurs c'est très variable suivant les sciences humaines, l'histoire se situant à une extrême, et l'économie à l'autre.

Le contrôle des pairs se fait de manière plus alambiquée, et c'est vrai que c'est un problème. Au moins pour le système français, mais à ma connaissance c'est le cas pour la plupart des autres pays du même niveau, la thèse est un moment central qui va focaliser toute la critique méthodo, quand l'attirail méthodo des autres publications (essentiellement livres, un bon nombre d'articles n'étant "que" des produits d'appel) ne va attirer la critique que ponctuellement, je ne veux pas dire par là "irrégulièrement" mais "sans exhaustivité".

La "scientificité" d'un fait établi se construit par conséquent plus en aval de la publication en revue : le "fait" s'imposera si le livre est publié, lu et jugé positivement au-delà du comité de lecture. Par ailleurs, la publication d'un livre étant à bien des titres plus coûteuse que la publication dans des revues, le jugement de scientificité du fait établi est aussi réalisé plus en amont, dans les négociations avec les éditeurs qui vont se reposer -pour ce qui est des considérations scientifiques- sur les appréciations de pairs sans très souvent les formalités des comités de lecture.

Et enfin, pour des considérations plus générales, le caractère de "fait" n'a jamais le degré définitif qu'il possède en sciences dures. La publication est bien sûr une étape importante, mais elle ne revêt pas les mêmes effets consacrants.
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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine - Page 2 EmptyLun 2 Juin 2008 - 11:28

Juste en passant et plein milieu de la consult Embarassed

Un fait scientifique est distinct d'une "preuve" scientifique, différente aussi d'une "vérité" scientifique, qui n'a pas nécessairement à voir avec la "vérité" absolue.

Simplement pour discuter, critiquer, argumenter, on ne peut le faire qu'à partir d'un papier. Le reste (discussion autour d'un café, communication à un congrès, communication à la presse, chapitre de livre) n'a bien entendu aucune valeur factuelle.

Un fait est ce qu'il est, une preuve est établie à partir de fait(s) méthodologiquement "justes", une vérité est faite de l'accumulation de preuves(le tout s'entend au sujet des sciences, bien entendu). L'accumulation de preuves devant bien entendu être réalisée par des équipes différentes, dans des revues différentes. EDIT : et là je rejoins Tamerlan

M'est avis que de nombreuses discordances, ici et ailleurs, notamment entre scientifiques ou avec le grand public, concernant la science relèvent simplement d'une méconnaissance de comment ça "devrait" marcher.

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine - Page 2 EmptyLun 2 Juin 2008 - 21:19

Toub a écrit:
M'est avis que de nombreuses discordances, ici et ailleurs, notamment entre scientifiques ou avec le grand public, concernant la science relèvent simplement d'une méconnaissance de comment ça "devrait" marcher.

Je n'en suis pas convaincu: une bonne partie de la discussion sur le VdF Paradox portait sur la diffraction entre le «comment-ça-devrait-marcher» et le «comment-ça-marche-finalement».

Quant à ma réponse sur «la recherche en science humaine, comment ça marche», l'exemple fictif, pris au hasard et totalement sans aucun rapport avec une quelconque personne finissant une thèse de Pero est juste. Pour entrer dans certains détails, par contre, les «problèmes» suivent nécessairement l'air du temps, parfois la découverte d'une source riche ou une amélioration de son accès. Ainsi, après la mise à l'écart de l'État dans l'histoire des années 70, plusieurs historiens y sont retournés récemment: d'autres historiens et des sociologues ont diagnostiqué dans ce retour la marque de la «crise de l'État» actuelle. Au cours d'une formation, on est amené à voir les questions actuelles, les sujets «chauds». Des oeuvres-phares, qui souvent transcendent leur domaine limité, vont pousser des gens à s'intéresser sur des thématiques similaires ailleurs.

Exemple: François Furet écrivant sur la Révolution Française, trouve que la méthode marxiste qui domine ce champ de l'histoire nie la puissance des idées pour faire de la crise un enchaînement mécanique. Le discours peut-il être opérant ? Dire quelque chose à une tribune influence-t-il les événements qui suivent ou ne s'agit-il que de masquer des mouvements plus profonds ? L'oeuvre divise et stimule la recherche. Aux États-Unis, où la méthode marxiste n'a pas la même prise, Furet influence de nombreux historiens. Lynn Hunt se dit que si le discours est important, sans doute que d'autres modes de communications ont été utilisés par les révolutionnaires. Elle va donc étudier les médailles, les gravures, les cérémonies de l'époque révolutionnaire. Keith Michael Baker a lu Furet. Il a aussi lu J. Habermas, un sociologue/philosophe allemand qui essaie de tracer la grandeur et le déclin de la démocratie parlementaire par l'utilisation qu'elle fait de l'opinion publique. Baker va donc tenter de voir comment l'opinion publique comme concept («Sire, l'opinion publique est contre vous») et comme réalité (lire les revendications populaires) se déploie en France *avant* la Révolution. Aujourd'hui, à l'université, quand on étudie la Révolution française, du moins en Amérique du Nord, on lit Baker, on lit Furet, on lit Habermas. Certains d'entre nous s'intéressent aux limites du concept d'opinion publique (est-ce une «réalité» ou seulement un effet rhétorique ?), à la façon dont l'opinion publique peut être «lue» aujourd'hui comme jadis. Y a-t-il une spécificité à la façon dont on décrit l'opinion publique en 1750 ou est-ce la même chose, le même concept, hier comme aujourd'hui ?


Autour de ces discussions se déploient, pour et contre, des oeuvres, des articles (plus présents en Amérique du Nord qu'en Europe, d'ailleurs) qui alimentent, nuancent, exploiteent les ressources conceptuelles ouvertes par ces grandes oeuvres. D'autres essaient de s'en éloigner. D'éternels érudits planchent sur des questions arides mais utiles (ex: la composition des Sections Parisiennes durant la Révolution, le droit des travaux publics sous l'Ancien Régime) en regard de questionnements très contemporains (ex: «comment le droit public actuel en est-il venu à intégrer les clauses X ou Y ?») ou ancien (les Sections Parisiennes étaient-elles très radicales ou opportunistes), etc, etc.
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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine - Page 2 EmptyJeu 5 Juin 2008 - 14:35

Oex, tu es un peu trop dans le général pour que je puisse comprendre.

J'illustre avec un exemple "vécu"

Problématique générale : un bobologue illustre dans son milieu est navré de la difficulté à faire le diagnostic d'une maladie assez rare qui lui est chère, la maladie de Horton. Il connait bien ce qui se dit de la maladie et notamment qu'il s'agit d'une pathologie responsable d'une inflammation sur une artère (artère temporale). Le diagnostic de sa maladie repose uniquement sur le prélèvement chirurgical de cette maladie et examen au microscope.

Il dispose dans son hôpital d'un très performant service de médecine nucléaire. Il existe un examen (la scintigraphie au gallium) de principe assez simple : on injecte un produit (peu) radio-actif aux patients, produit (le 67 citrate de gallium) qui se fixe sur les cellules inflammatoires. La scintigraphie au gallium est utilisée pour le diagnostic de certaines maladies inflammatoires.

Question : étudier le rendement de cet outil diagnostic dans la maladie qui l'intéresse.

Problèmes posés :
- il y aura peu de malades
- on ne regarde pas la zone temporale au cours des scintigraphies au gallium traditionnelles.

Réponse méthodologiques proposées :
- une étude prospective : on commence quand on est prêts, en incluant des nouveaux malades (en fait le reuc durera environ 5 ans)
- une technique adaptée : des clichés seront fait du profil des patients : une zone temporale (rouge sur la photo) et une zone témoin (sur le cuir chevelu - vert sur la photo). Le rapport de radio-activité sera établi par la machine (gamma-caméra schématiquement). Une augmentation de la radio-activité témoignera d'une fixation du traceur.

La recherche en sciences humaines - côté cuisine - Page 2 Mthodologiegalliumhortoxt1.th

- définir un groupe témoin : des sujtes du même âge ayant une scintigraphie pour une maladie inflammatoire, chez qui on va faire la même manip
- pour valider encore plus les résultats, refaire une scintigraphie plus tard, la maladie considérée comme guérie, et voir si la fixation diminue.

Résultats

Ce qui fut dit fut fait.

La fixation était en effet plus importante que chez les témoins. La fixation retournait aussi à l'état basal après traitement.

La recherche en sciences humaines - côté cuisine - Page 2 Evolutiondesfixationsgaoz9.th

Conclusion de ce travail de recherche : il existe une fixation temporale de gallium au cours de la maladie de Horton. Cette fixation retourne à la normale après traitement.

Résultats annexes : on a vu aussi d'autres sites de fixation (sur le poumon notamment) chez certains malades, laissant entendre que la maladie déborde souvent de son cadre anatomique "usuel". Dans la mesure où on n'avait pas prévu ça, on n'avait pas les moyens méthodologiques pour le dire vraiment et on ne l'a pas dit, au sens pas publié (j'ai néanmoins fait faire une thèse sur le sujet histoire de réfléchir).

Applications proposées : on peut envisager d'utiliser la scintigraphie au gallium pour le diagnostic de maladie de Horton, voire dans les cas difficiles pour surveiller le traitement.

Histoire après l'histoire :
- les résultats ont été confirmés par d'autres équipes notamment aux USA (j'ai eu droit à mon moment de gloire lors d'un congrès international sur le sujet quand Gene Hunder, Mr Horton à la Mayo Clinic, s'est levé après ma communication pour me dire qu'il confirmait mes données - même si le Horton a été une de mes thématiques phares, jamais je n'aurais envisagé avoir un jour de regard du bonhomme ... )
- la scintigraphie au gallium est un examen très lourd (sur le plan pratique) qui fait qu'on l'utilise très peu en pratique
- elle est progressivement remplacée par une autre technique (vous avez peut être entendu parler du PET-Scan) et donc ces résultats n'auront jamais une application universelle.


Voila c'était histoire d'illustrer le raisonnement d'un chercheur en science médicale, versant clinique :

- un problème
- une méthodologie définie à l'avance
- en l'occurrence des résultats
- un papier
- la confrontation à d'autres regards, et à l'histoire ...

C'est un de mes papiers les plus "propres", les plus difficiles à réaliser aussi. Certainement pas le plus renommé.

Ce sur ce versant très pragmatique que j'aimerais avoir le raisonnement des chercheurs en sciences humaines et histoire.

Si vous voulez d'autres exemples, tout à fait différents, je pourrai puiser dans d'autres histoires, celles de la Toubiote notamment.

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine - Page 2 EmptyJeu 5 Juin 2008 - 21:37

Toub a écrit:
1) mes excuses à Pero. Je pense que j'ai du rater un-deux messages dans le split qu'il a fait et j'ai donc raté des réponses à mes questions naïves. Ca ne résoud pas mes interrogations mais ça mérite en effet de les relever et d'en discuter.

Ils se font des bisous sans intervention modérale, c'est un bonheur c'te forum j'vous dis
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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine - Page 2 EmptyVen 6 Juin 2008 - 14:48

boultan a écrit:
Toub a écrit:
1) mes excuses à Pero. Je pense que j'ai du rater un-deux messages dans le split qu'il a fait et j'ai donc raté des réponses à mes questions naïves. Ca ne résoud pas mes interrogations mais ça mérite en effet de les relever et d'en discuter.

Ils se font des bisous sans intervention modérale, c'est un bonheur c'te forum j'vous dis
Entre Pero et moi, le problème est de trouver une langue en commun.

pale

(et merci de cette intervention constructive dans un débat qui soulève l'enthousiasme ...)

:D

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine - Page 2 EmptyVen 6 Juin 2008 - 14:58

Toub a écrit:


(et merci de cette intervention constructive dans un débat qui soulève l'enthousiasme ...)

:D

12 visualtions pour une réponse de quoi se plaint-on.
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BaronKray




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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine - Page 2 EmptyVen 6 Juin 2008 - 20:43

Pour le peu de papers que j'ai lu en sciences humaines (facilite d'utilisation de systemes informatiques complexes), la methode utilisee est aussi *probleme *methode *resultat *discussion *conclusion ... Il est certain que les problemes sont decrits de facon moins seche qu'en science "dure" et sont moins "auto-contenus".

Sinon, les publications experience-resultats, cela constitue une partie (importante) du lot de publications dans le domaine scientifique ("dur"), mais ce n'est pas tout. Surtout qd on commence a utiliser bcp de maths en recherche theorique et qu'on a pas un acces evident a un ensemble de donnees (ca peut couter cher les donnees, etre parfois peu pratique/ethique a obtenir). Bien sur, il faut qd meme parfois une experience reelle pour prouver la chose, mais parfois on peut se contenter de simulations a la qualite variable (et pas forcement facilement verifiable) pour faire avancer des theories.

Bref, il me semble que les sciences dures comme les sciences "humaines" se recoupent dans leur methodologie lorsqu'elles cherchent a modeliser des problemes pour lesquelles l'obtention de donnees n'est pas evidente.
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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine - Page 2 EmptyVen 6 Juin 2008 - 23:46

Pero a pastiché une partie de mon cheminement en histoire et les sciences humaines ne se réduisent pas aussi aisément que les sciences dures à une présentation par point. D'abord parce que la construction de l'objet fait elle-même partie de la démarche.

Exemple: Quand j'étudie la corruption au XVIIIe siècle, il faut d'abord une réflexion sur ce que recoupe le concept de «corruption», parce que les sources qui identifient clairement «ceci est de la corruption» sont non-existantes, et que la définition peut être changeante. Or, une définition trop stricte de la corruption entraîne un effet déformant: l'idée que le concept est clair pour les acteurs eux-mêmes.

Exemple corolaire: Un officier royal empoche une partie des fonds qui lui sont remis pour la construction des casernes de la Nouvelle-Orléans. Est-ce de la corruption ? Comment qualifier alors que ce même officier utilise sa propre bourse pour organiser la Saint-Louis (la fête du roi) à la Nouvelle-Orléans ?

D'autre part, les sources entraînent leurs propres problèmes et orientent très souvent la recherche, qui ne peut donc se permettre d'avoir des hypothèses de départ qui soient coulées dans le béton, et dont une infirmation rendrait le travail valide de toute façon.

Exemple: Je souhaite étudier la corruption en Louisiane. Au Canada, on possède un long procès et des séries documentaires qui rendent possibles l'étude du favoritisme dans l'attribution de contrats gouvernementaux. Je souhaite faire une étude parallèle à celles faites au Canada. Problème: on n'a pas ces séries et les procès ne portent finalement pas sur la corruption en tant que telle, mais sur le «problème de l'autorité», selon les mots mêmes des juges. Je dois donc trouver d'autres sources ou abandonner / modifier le sujet.

Que fais-je ? Publier une étude en disant: «les sources de la Louisiane ne permettent pas de décrire le problème de la corruption à la Nouvelle-Orléans» serait risible et inutile. Constater l'état des sources ne mène pas à grand' chose, parce que, comme Pero l'a déjà souligné, on s'attend des historiens et des sociologues qu'ils disent *quelque chose* malgré leurs sources. Sinon, on n'aurait d'histoire que de celle des institutions, de leur propre point de vue, grandes productrices de papier.

Cela étant, par l'étude de la correspondance des Ministres de la Marine, je peux essayer de reconstituer les raisons qui poussent à choisir un mode d'attribution de contrats gouvernementaux (mise aux enchères, contrat de gré à gré, favoritisme) plutôt qu'un autre. L'attribution des contrats gouvernementaux étant pour les historiens, selon l'analyse d'Oex, un outil de diagnostic de la corruption et de l'influence occulte dans les sociétés d'Ancien Régime (et Oex ajoute en lui-même: et dans nos propres sociétés).

Problème: Sous l'Ancien Régime, les Ministre n'ont pas à justifier leur décision ni en comité, ni envers leur subalterne. Je dois essayer de reconstituer ces raisons à partir de leur résultat (contrat 1 au Sieur Machin, contrat 2 au Sieur TrucMuche, contrat 3 aux enchères, finalement attribué au sieur MachinChose.

Problème corolaire: Comment établir la preuve d'un favoritisme envers le Sieur Machin, qui reçoit des contrats sans appel d'offres pendant 30 ans ?

Réponse d'un historien n°1 à une situation semblable dans un autre contexte:
Essayer d'établir des liens de parenté

Réponse d'un historien n°2: Établir des versements de pots-de-vin, ou à tout le moins, des accusations de verements de pots-de-vin

Objection à l'historien n°1: favorise-t-on un parent même lorsqu'il est incapable ? Une parenté est-elle suffisante pour établir un favoritisme.

Objection à l'historien n°2: Rares sont les factures de pots-de-vin... Les accusations peuvent être motivées par un tas d'autres raisons.

Recherche d'Oex: Le sieur Machin semble assez proche du pouvoir royal dans les dernières années de sa vie. Il a des liens avec un baron qui gravite autour du Ministère de la Marine et est fort ami des Ursulines de Dieppe.

Questions d'Oex: Est-ce que c'est suffisant pour établir un favoritisme indu ? Peut-être y a-t-il des raisons compréhensibles, du point de vue du Ministère, qui poussent le Ministre a attribuer ces contrats au sieur Machin. Son rapprochement du pouvoir royal est-il une cause de l'attribution des contrats ou une conséquence d'une relation de confiance établie au fil du temps ?

Répéter les étapes au-dessus pour les sieurs Machin, MachinChose, TrucMuche, etc. en sachant que pour nombre d'entre eux, il est impossible d'établir un quelconque lien.

Analyse d'Oex: le sieur Machin, ainsi que quelques autres, s'avèrent fournir aux colonies des marchandises pour les Amérindiens. Le sieur Machin produit lui-même ces marchandises, il n'est pas *que* négociant. Les tentatives pour attribuer les marchandises du sieur Machin aux enchères à Rochefort sont dénoncées à la Nouvelle-Orléans et à Québec. Avec le temps, le sieur Machin étant capable de remplir ses commandes à temps, le Ministère accepte de payer ses prix plus élevés.

Le sieur Machin est-il favorisé par l'État ? Réponse: Oui. S'agit-il d'une pratique propre à révéler les formes de corruption et de favoritisme de l'Ancien Régime ? Réponse d'Oex: Non. Si on s'attarde aux analyses d'attribution des contrats de la France de 2005, les raisons reconstituées par Oex (spécificité technique des marchandises fournies, nécessité stratégique liées aux alliances amérindiennes, établissement d'un lien de confiance, techniques de contournement des procédures définies par la loi) sont encore bien vivantes.

Conclusion limitée d'Oex: L'attribution des contrats gouvernementaux pour fournir les colonies peut raisonnablement être attribuée à un ensemble de facteurs qui dépassent largement les questions 1) du prix le plus bas et 2) du favoritisme de créatures.

Conclusion ouverte d'Oex: Si les «problèmes» relevés par les historiens dans des situations semblables à celles des colonies existent encore, sous des formes tout à fait similaires dans le discours même, dans l'attribution de contrats gouvernementaux aujourd'hui, alors invoquer la favoritisme des contrats gouvernementaux comme «preuve» de l'archaïsme/pré-modernité de l'État du 18e siècle apparaît infondé. Des raisons autres que la corruption peuvent l'expliquer, qui tiennent peut-être, comme l'analysent eux-mêmes des hommes du 18e siècle (i.e.: Mirabeau, par exemple), à des questions de confiance, de primes à la qualité, de normes considérées comme irréalistes de contrôle, etc.

À différents moments, j'ai présenté certains aspects de cette réflexion à des colloques internationaux pour validation, confrontation de points de vue, etc. Évidemment, tout le monde se fout du sieur Machin sauf pour l'anecdote: ce qui est important, c'est les implications pour ce qui concerne notre vision de l'administration, des Amérindiens pour les hommes du 18e siècle, nos a priori sur la modernité, etc.
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Pero Coveilha
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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine - Page 2 EmptySam 7 Juin 2008 - 10:22

Toub a écrit:

Entre Pero et moi, le problème est de trouver une langue en commun.

pale
t'es con, au moins dans l'état actuel on pourrait faire semblant d'être d'accord mais en l'exprimant différemment Razz


Oex a donné un exemple détaillé. Il ne m'en voudra pas je pense -parce qu'il le signale lui-même- si je rappelle qu'une telle illustration n'a pas le pouvoir démonstratif de la tienne. Mais ce n'est pas à cause d'une différence de qualité de la recherche, mais de présentation de la celle-ci. C'est d'abord et surtout parce qu'en sciences humaines il est impossible (et extrêmement contre-productif lorsque l'on s'y essaie quand même) de réduire la réalité en si peu de mots; la solution d'exposition pour le chercheur en sciences humaines c'est de mettre en avant la manière dont il a construit son objet, comme l'a fait Oex, avant que de parler du réel en lui-même. Ce qu'il nous démontre surtout ce n'est pas une réponse claire à des faits bien établis, mais la manière dont on peut accéder à ces faits, qui implique la manière dont on peut les comprendre avec notre esprit du XXIè s. C'est cette attitude et aptitude du chercheur qui est d'abord jugée dans ses interventions aux colloques, séminaires, courts articles de présentation.

Un auditeur/lecteur intéressé par les faits eux-mêmes ne pourra pas se contenter de cette démonstration-là, qui résume plus une démarche de connaissance qu'elle n'est une exposition des connaissances établies, parce que ces dernières ne peuvent pas être réduites tout en gardant leur pleine intelligibilité. Il va lui falloir piocher dans les écrits extensifs sur le sujet, qui vont s'atteler à décrire les faits. D'ailleurs, cette tâche de description est le gros-oeuvre d'une bonne partie des sciences humaines. En histoire ou en ethnologie notamment, on trouve même encore pas mal de chercheurs qui s'y cantonnent : pas d'histoire-question ou d'histoire-problème, on se contente d'être le plus exhaustif possible sur ce qu'on observe de la réalité sur un thème donné, la simple narration est présumée fournir toute l'intelligence nécessaire au lecteur. Cette méthode (ou plutôt absence de méthode) est souvent critiquée car elle laisse toute latitude aux a priori, voire elle se repose sur leur puissance pour convaincre le lecteur. Ces travaux sont néanmoins ceux qui rencontrent plus facilement des succès de librairie, et ils ne sont pas forcément totalkement inutiles pour autant, bien loin de là, tant que la critique des sources est correctement effectuée.

Contrairement à Tam, je ne tenterais pas de tracer une continuité trop forte entre les sciences dures et les sciences molles. Bien sûr au niveau très géénral, il y a la même exigence d'application de la rationalité à l'établissement du savoir, de confrontation entre savoirs etc. Mais je pense que c'est trompeur de présenter, comme on le fait souvent, les différences entre ces deux formes de savoir comme des différences de degré, même si cette dimension existe aussi : savoir plus ou moins vérifiable, plus ou moins universalisable, plus ou moins systématisable.

Pour moi la différence fondamentale n'est pas dans l'universalisation d'un fait établi, mais dans l'inverse : la réduction première de la réalité en un fait scientifique. En physique on pourra parler des caractéristiques des corps en contrôlant relativement aisément les parasites amenés avec tel corps trouvé dans le monde réel; en biologie on pourra parler des traits de tel organe en neutralisant les spécificités apportées par l'individu qui le porte. Rien de tout cela n'est possible en sciences humaines. Même la plus dure des sciences molles, l'économie, doit toujours rappeler la règle CETERIS PARIBUS (toutes choses égales par ailleurs) dans ses démonstrations généralistes, pour ensuite appréhender comment les choses ne sont justement jamais égales par ailleurs dans le monde réel quand on touche à une pièce du mikado. Et ce n'est pas (seulement) parce que le savoir sur les activités humaines change plus directement et plus grandement celles-ci que le savoir sur les faits naturels n'influe sur ces derniers. C'est parce que tout savoir sur l'humain est spécifique et circonstancié.

J-Cl. Passeron proposait de voir les sciences humaines comme la science des noms propres, quand les sciences naturelles seraient celle des noms communs. Une table se distingue par des caractéristiques assez simples. Mr Dupont, pour être décrit de manière complète et distincte, nécessite au moins une biographie; ses caractéristiques propres ne peuvent être réduites que dans son nom qui le désigne spécifiquement. Le phénomène de gravité peut être réduit dans une formule complexe en interne, mais extrêmement simplifiée par rapport à l'ensemble de la réalité qui est soumise à ses lois. Si je veux parler de la démocratie, pour être compris, je vais devoir me référer à du spécifique : la démocratie telle qu'elle était pratiquée dans quelques cités grecques antiques, le système politique élaboré dans quelques pays du XIXè s, ou celui élaboré dans le XXè occidental, ou la démocratie d'AG ou la démocratie scolaire, n'importe quoi. Je ne peux pas extraire une caractéristique de la démocratie -qeulle que soit la définition que je retiens- de la gangue de la réalité où elle prend vie sans une énorme déperdition d'intelligibilité, j'ai toujours besoin de maintenir une référence spécifique (la France de 2008, Athènes de -400, ou les 2 par les points communs que j'y trouve).

La méthode en sciences dures vise en partie à effacer le brouillage du spécifique, à neutraliser le particulier. En sciences humaines, la méthode se doit de travailler sur le particulier, car c'est ce qui est seul atteignable. Le passage obligé étatn de signaler et de penser le mieux possible le spécifique et de dire en quoi ce détour indispensable aide à notre compréhension du général (c'est la conclusion d'Oex). Je pense que ça résume assez bien la dissenssion entre Toub et moi sur l'article étudiant les ex soixante-huitards.

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine - Page 2 EmptyJeu 12 Juin 2008 - 12:57

Oex : je comprends ce désir d'historien de ne pas laisser l'Histoire aux institutions. A vouloir cependant réécrire l'histoire, absolument, à la limite en dépit de soruces défaillantes, ne court-on pas vers une réécriture "a priori" de l'histoire, sur des bases purement idéologiques ?

Merci aussi de répondre aux questions, même si tu te situe encore un peu en aval de ce que je souhaiterais comprendre : comment se "fait" l"histoire ?

Je caricature peut être un peu :

Cas de figure 1 = découverte de nouvelles sources. Ca arrive encore j'imagine ? Comment sont elles lues ? Applique-t-on des "grilles de lecture" préalablement validées (mais vraiment au sens propre du terme, pas seulement lire un texte avec une formation relevant de telle ou telle école), ou les lit on avec un oeil d'historien (aussi neutre ou sciemment influencé que possible).

Cas de figure 2 = relecture de sources antérieurement exploitées. Comment les relit-on ? Comment est-ce que les lectures antérieures sont intégrées ? Comment est-ce qu'on s'en extrait, méthodologiquement parlant ?

J'ai déjà cité le livre de Wieviorka sur le débarquement. Il m'a vraiment beaucoup frappé (même si je n'arrive pas à remettre la main dessus) car il apportait une méthodologie qui me semblait innovante, et relisait/critiquait l'historiographie officielle avec des informations me semble-t-il peu communiquées au grand public (registre des hôpitaux, traffic des ports de pêche, fréquence de citation dans les journaux) ...

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MessageSujet: Re: La recherche en sciences humaines - côté cuisine   La recherche en sciences humaines - côté cuisine - Page 2 EmptyJeu 12 Juin 2008 - 13:33

De ma petite expérience.
Quand un nouvelle source apparaît, il y a d'abord tout un travail sur cette source, pour essayer de la resituer et de la valider.
Par exemple pour un texte en histoire médiévale, on pratique souvent la philologie sur le modèle allemand c'est à dire essayer de reconstruire le texte et son origine, l'auteur s'est-il inspiré d'autres textes, ...
L'auteur, la date, le destinataire, le contexte sont des préalables indispensables à l'étude d'une source, et sont parfois plus importants, plus riches d'enseignement que le contenu lui même.

Le relecture des sources anciennes dépend en partie des thèmes à la mode. Par exemple en histoire moderne, on a eu la mode de l'histoire des choses banales, c'est à dire du qutidien, et pourça on s'est mis à éplucher vraiment à fond les inventaires après décès.
La guerre 14 18 a été renouvelé par l'étude de la violence, et de l'expérience du combat, les sources ont été revisitées avec un aspect plus "psychologique"

bref une même source peut être utilisée pour différents thèmes qui eux mêmes répondent en partie à des modes.
Mais malgré tout, sauf cas extrêmes, ça ne remet pas forcément en cause le fond, c'est juste l'angle d'approche qui change.
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