| | Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" | |
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Auteur | Message |
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Filamp
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| Sujet: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Mer 16 Mai - 21:10 | |
| WARNING : ça va être long et chiant. Ca va parler de Grecs, de religion, de sciences humaines et de neutralité. Vous êtes prévenus. Je ne sais pas si ça vaut le coup d'ouvrir une enfilade ; peut-être que Bob répondra simplement "Ok, on ne parlait pas exactement de la même chose" et que ça s'arrêtera là. Mais autant mener la discussion jusqu'au bout. Nous disions donc : - Spoiler:
- Filamp a écrit:
- 16h25 : C'est gênant les blagues sur les Grecs, quand même : Filamp essaye de faire un beau paragraphe expliquant comment mener une étude des religions, mais il a des scrupules à le terminer par : "Nous ne partageons pas leurs croyances, mais les Grecs en étaient pénétrés, ce qui est à la seule choses à retenir pour les comprendre."
- Bob Lafayette a écrit:
- 16h42 : Malgré le côté blague, Bob ne comprend pas trop l'intérêt de préciser qu'on ne partage pas leurs croyances ? Le scientifique n'est ni dans le partage des croyances, ni dans le fait de ne pas les partager mais dans un troisième positionnement qui est un recul dicté par une méthode, non ?
Si on fait une étude sur la vie sexuelle des huîtres, on ne termine pas par "Nous n'avons pas les mêmes fantasmes que les huîtres, mais..." - Filamp a écrit:
- 17h29 : Pour Bob : Justement, si le scientifique se doit d'être dans la neutralité, il doit éviter d'être influencé par ses propres considérations religieuses (qu'il soit croyant d'une religion, agnostique ou athée), ce qui lui ferait exagérer ou louper certaines choses ; mais il doit aussi éviter d'être totalement étranger à son sujet, sans quoi il lui faudra ramener son sujet à lui, le comparer à ce qu'il connait, ce qui instille autant d'autres fautes.
Le problème, quand on étudie une religion ancienne notamment, est d'être perdu au point de comparer cette religion à une autre que nous connaissons mieux (le christianisme principalement, pour les scientifiques européens). On peut avoir le sentiment, involontaire, que la religion étudiée est tellement éloignée de ce que nous considérons être la religion, que nous ne la voyons plus que comme des superstitions que personne, pas même ceux qui la pratiquaient, ne pouvaient sérieusement croire. (traduction car je ne suis pas clair : la religion grecque est tellement éloignée des caractéristiques des religions que nous connaissons (christianisme, disons), que l'on peut être amené à considérer que tout ce qui est dans la religion grecque mais n'est pas dans le christianisme relève de la superstition, de choses impossibles à croire, même pour les Grecs)
Le propos de Filamp, dans sa phrase et tout son paragraphe, est justement de comprendre que même si nous, hommes du XXIe siècle, nous ne comprenons pas vraiment la religion grecque, les Grecs, eux, la comprenait parfaitement. Ce n'est pas parce que nous pouvons considérer que certaines choses sont bizarres ou n'appartiennent pas au domaine religieux que nous devons imposer cette vision aux Grecs ; il nous faut comprendre que eux voyaient la religion différemment. En somme, il ne faut pas rapprocher la religion de nous, mais nous rapprocher de ceux qui la pratiquaient, pour essayer de saisir ce qu'ils y ressentaient, et donc comprendre cette religion.
Bon, maintenant, Filamp se demande pourquoi il s'est embêté à faire 15 pages sur ce sujet alors qu'il vient de résumer ça en 20 lignes. - Bob Lafayette a écrit:
- 18h33 : La phrase de Filamp ne dit pas exactement ça, enfin du point de vue de Bob. Elle semble presque personnelle... Qu'on ait des conceptions du monde radicalement différentes ne nécessite peut être pas qu'on précise qu'on n'y croit pas. Il n'y a pas quelque chose dans les définitions anthropologiques pour définir le caractère étranger d'une croyance plutôt ?
Après, Bob en sait rien. Il s'étonne, c'est tout ! - Filamp a écrit:
- 19h38 : Filamp ne comprends pas trop la remarque de Bob ; l'objectif de la phrase (et des 15 pages, en passant ) n'est pas de définir en quoi la religion grecque nous est étrangère, mais de tenter de trouver un moyen pour la comprendre, alors qu'elle nous est, quand on l'aborde, étrangère.
Mon but dans le chapitre que je suis en train d'écrire est de parler des difficultés qui se posent à un chercheur quand il étudie une religion. Le problème est aggravé quand il s'agit d'une religion ancienne, et donc morte, et la religion grecque est encore plus problématique puisqu'elle ne se considère pas comme une religion. Tout cela forme une grande problématique : comment comprendre une religion, et donc un sentiment humain, qui a disparu depuis longtemps ? Comme je l'ai dis dans le HH:MM, il y a deux pièges à éviter : 1- si le chercheur est chrétien/musulman/juif/zoroastrien/autre, il y a un risque qu'il occulte certaines choses qu'il considérerait comme immorale, comme bizarre, comme hors de la religion ; ou bien qu'il exagère certains détails, comme par exemple donner une importance capitale à quelque chose qui lui rappelle sa propre religion. Si le chercheur est agnostique ou athée, il y a un risque qu'il passe à côté de faits religieux, puisque lui-même n'expérimente pas le sentiment religieux et pourrait ne pas le reconnaître. 2- si la religion que l'on étudie nous est étrangère, on peut être tenté de la comparer à une autre, que l'on connait mieux. Par exemple, pour comprendre ce qu'est un dieu olympien, on peut être tenté de le comparer au concept de Dieu qu'ont établi les trois monothéismes. Or, c'est faux : le Dieu des monothéistes est absolu, hors du temps, tout-puissant, et les dieux des Grecs sont des forces naturelles, des puissances, que les mythes considèrent comme soumis au destin et très humanisés. L'une des méthodes pour comprendre une religion, qui vient en grande partie de Durkheim, consiste non pas à essayer de comprendre la religion en tant que telle, en tant que concept indivisible ; mais plutôt de comprendre les rapports que les hommes qui la pratiquent entretiennent avec elle. (Pour ça, Durkheim étudie une religion qu'il considère "primitive", celle d'un peuple australien, et donc qui concentre toutes les caractéristiques essentielles de toutes les religions, même plus élaborées. La méthode est contestable, mais il faut se rappeler qu'elle date de 1911) Pour cela, il faut donc faire abstraction de nos propres critères de définition de la religion, ce qui nous permet de garder en tête que les sociétés étudiées n'avaient pas forcément les mêmes critères que nous, ce qui facilite notre compréhension de leur sentiment religieux, et ce, sans avoir besoin de l'expérimenter. Par exemple : si je reste sur ma conception qu'un dieu est forcément un être omnipotent et parfait, je considèrerais que les Grecs étaient quand même légèrement stupides de croire à des dieux boiteux, adultères, jaloux, etc. Je tendrais même à me dire qu'ils ne pouvaient pas sérieusement y croire, que ce n'était que des mythes dont ils n'étaient pas dupes. Alors qu'au contraire, je dois abandonner ma définition du dieu tant que j'étudie une société qui en avait une différente. C'est ce que je voulais dire par la phrase "Nous ne partageons pas leurs croyances, mais les Grecs en étaient pénétrés, ce qui est à la seule choses à retenir pour les comprendre" : nous, Modernes, ne pouvons pas comprendre les croyances des Grecs, puisque leur religion est morte ; mais si je garde à l'esprit que les Grecs en étaient réellement et sincèrement convaincus, qu'ils vivaient leur religion de manière différente mais tout aussi vraie qu'un chrétien d'aujourd'hui, je ne cours plus le risque de nier leur sentiment religieux. Je peux mieux comprendre leur religion si je n'oublie pas qu'elle était vraie pour eux, même si elle ne l'est pas pour moi. Voila voila, j'espère être assez compréhensible. Sinon, qu'on n'hésite pas à me huer. |
| | | Bob Lafayette
Age : 50 Localisation : Lorient
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Mer 16 Mai - 22:57 | |
| Bouh Bouh Bouh ... Je comprends ton propos mais il me semble juste que la formulation est maladroite. Mais conçois bien que je dis ça avec beaucoup d'humilité. Je ne sais pas ce qu'il faut écrire. Juste que dit comme ça, ça fait "C'est pas parce que j'y crois pas, qu'eux n'y croient pas !". Ca ne me semble pas aller dans le sens des différences conceptuelles importantes entre la religion grecque et les religions / philosophies contemporaines mais plus d'une sorte de truc que tu rapportes à toi même. Pour faire un parallèle... Puisque j'ai un peu étudié l'art et les religions africaines... Je comprends ton machin. On ne peut pas entraver les animismes africains ou simplement la pensée animiste en en faisant un ersatz de chamanisme moisi. Si on ne prend pas le temps de comprendre la personnification, d'essayer même de s'y essayer par jeµ, on est juste qu'un imposteur à croire y comprendre quelque chose. Maintenant, la façon dont tu tournes la phrase me semble plus proche de "On n'est pas africain, hein ! mais eux oui" que de "la pensée animiste ne peut pas se comprendre dans un monde dominé par une pensée rationnelle, matérialiste et transcendantale quand on cause spiritualité". C'est juste cette impression, la façon dont est tournée la phrase qui me paraît "euh ?". Pour le reste, je ne doute pas un instant que tu sois le spécialiste mondial de la religion grecque, de Xénophon et du heavy metal à la cithare ! (traduction : ton propos me paraît vachement bien) Je pense en même temps que j'écris... C'est le mais que je pige pas. On ne partage pas leurs croyances / MAIS / eux en sont imprégnés. DONC : ils ont eu de la chance d'en être imprégnés, parce que ça aurait pu ne pas arriver puisque ça s'oppose à "on ne partage pas leurs croyances". Genre : "Je ne veux pas que mon fils fasse des conneries / MAIS / il n'en fait qu'à sa tête" ou "Le désert est sec et il n'y a pas d'eau / MAIS / il y a quand même des connasses de bestioles à farfouiller le sable". Plutôt que partager, tu ne peux pas plutôt dire : "Les grecs étaient imprégnés de ces croyances / ET / nous ne les comprenons pas complètement, elles sont étrangères à notre façon de penser" ? |
| | | Filamp
Localisation : Vous êtes ici.
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Jeu 17 Mai - 1:50 | |
| Il faut bien noter également que cette phrase n'était que la conclusion d'un paragraphe qui lui-même était précédé de plusieurs pages d'explications ; il y a donc un contexte de lecture que je ne peux pas reproduire ici et qui biaise un peu la façon dont on perçoit cette phrase. Tu présentes plusieurs choses auxquelles je réagis différemment : d'abord, tu mets l'accent sur l'aspect "personnel" de ce qui est dit : - Bob Lafayette a écrit:
- Ca ne me semble pas aller dans le sens des différences conceptuelles importantes entre la religion grecque et les religions / philosophies contemporaines mais plus d'une sorte de truc que tu rapportes à toi même.
Pourtant, c'est ça. Toute production historiographique est nécessairement imprégnée de son auteur ; si l'historien n'évacue pas préalablement ses préjugés et ne tend pas vers la neutralité, son résultat scientifique s'en ressent. Le terme "sciences humaines" marche dans les deux sens : elles étudient certes l'humain, mais elles concernent aussi l'humain qui écrit. Pour faire correctement mon travail d'historien, je dois utiliser une méthode scientifique historique ; mais, du coup, je dois savoir l'utiliser. Je dois faire des efforts sur ma propre conscience, ma propre structure psychique, pour atteindre la neutralité. Ensuite, il y a un problème avec tes exemples sur le "mais" : ils concernent tous des évidences. Or, la définition de la religion n'en est pas une. Il est très loin d'être évident pour tout le monde que comparer les religions pour les définir est inutile. De même, il n'est pas évident pour tout le monde de comprendre qu'on peut définir différemment la religion selon la société dans laquelle on vit. "On ne partage pas leur croyance, mais eux en étaient imprégnés" veut dire "Peu importe notre sentiment religieux, qu'il soit proche ou lointain de celui des Grecs, l'important est que eux en possédaient un cohérent et solide, et c'est en sachant cela qu'on peut mieux comprendre leur société, leurs actes, leurs institutions, etc." En fait, pour développer vraiment, il faudrait que j'expose encore plus Durkheim et la vertu dynamogénique de la religion (en gros, la religion sert au fidèle à agir, pas à croire), et non seulement il est 3h50 du matin, mais en plus ça gonflerait tout le monde. En revanche, je suis intrigué par ceci : - Bob Lafayette a écrit:
- Maintenant, la façon dont tu tournes la phrase me semble plus proche de "On n'est pas africain, hein ! mais eux oui" que de "la pensée animiste ne peut pas se comprendre dans un monde dominé par une pensée rationnelle, matérialiste et transcendantale quand on cause spiritualité".
Je le redis, mon propos entier comporte tout un développement qui est (j'espère !) plus clair et plus complet que celui que je fais ici ; néanmoins, je suis content de lire ça. Je vais rajouter dans mon mémoire ce que tu écris ici car je ne suis pas sûr de l'avoir spécifiquement dit de cette manière. Mon développement le sous-entend mais tu me fais remarquer qu'il vaut mieux que je le dise clairement. Je te remercie donc pour le coup de main. Enfin, je te remercie encore pour les lauriers que tu me tresses, qui ne sont absolument pas nécessaires ; le principe de la recherche scientifique est d'être débattue et je suis content de pouvoir le faire. Tu n'as pas de modestie à avoir face à ce que je fais : toutes les expériences enrichissent le savoir, et comme tu peux pointer du doigt mes lacunes (et tu l'as fait), c'est du tout bon. Bon, par contre : - Bob Lafayette a écrit:
- Pour le reste, je ne doute pas un instant que tu sois le spécialiste mondial de la religion grecque, de Xénophon et du heavy metal à la cithare !
Ca, oui, c'est vrai. |
| | | Bob Lafayette
Age : 50 Localisation : Lorient
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Jeu 17 Mai - 6:42 | |
| Ok...
Mais tu ne règles rien au problème de l'utilisation du "mais".
Il ne définis pas une opposition, une exception ou une différence. Il n'y a pas d'opposition entre le fait qu'ils soient pénétrés par leur religion et qu'elle nous soit étrangère ? La seule opposition possible c'est entre le fait qu'elle nous soit étrangère et pas à eux mais ce n'est pas ton propos.
"Nous ne partageons pas leurs croyances mais ils en sont pénétrés", est-ce que ça pourrait donner "Nous partageons leurs croyances donc ils en sont pénétrés" ?
Je passe sur les autres utilisations (wiktionnaire) du mot "mais" : excuse, augmentation / diminution, transition, restriction... Ca ne correspond pas au truc...
C'est juste une question de forme ! |
| | | Filamp
Localisation : Vous êtes ici.
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Jeu 17 Mai - 12:44 | |
| Le "mais" pose bien l'opposition, car il est là pour prévenir l'éventualité où le chercheur considérerait qu'une autre définition de la religion que celle qu'il possède serait stérile. "Nous ne partageons pas leurs croyances, mais ce n'est pas une raison pour nier les leurs." L'opposition du "mais" dit que ce n'est pas parce que la définition de la religion entre deux sociétés est différente que l'une des deux est nécessairement inopérante. |
| | | Bob Lafayette
Age : 50 Localisation : Lorient
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Jeu 17 Mai - 14:38 | |
| Mouais...
Ce qui marque ma différouence ! :red: |
| | | Keyser Pacha
Age : 45 Localisation : Pleine tête !
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Jeu 17 Mai - 15:09 | |
| Et sinon, la religion grecque alors, ils la vivait comment ? |
| | | Hildoceras Moderatio in omnibus
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Jeu 17 Mai - 15:21 | |
| une succession de barbecues... d'ailleurs, pour revenir au sujet : - Citation :
- la religion grecque est encore plus problématique puisqu'elle ne se considère pas comme une religion.
Que veux-tu dire par là ? _________________ sed quis custodiat ipsos custodes ?
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| | | Filamp
Localisation : Vous êtes ici.
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Jeu 17 Mai - 15:23 | |
| - Keyser Pacha a écrit:
- Et sinon, la religion grecque alors, ils la vivait comment ?
C'est assez... vaste, comme question. Tu fais référence à ce que je disais pas "La religion grecque ne se considérait pas comme une religion" ? - Hildoceras a écrit:
- une succession de barbecues...
J'avoue que je n'avais encore jamais pensé à ça. Merci à toi, maintenant je ne pourrais plus m'ôter cette image de la tête. Edit : Aaaah, j'ai loupé l'édit d'Hildo. Je répondrais en détail un peu plus tard ; là je ne fais que passer. |
| | | Keyser Pacha
Age : 45 Localisation : Pleine tête !
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Jeu 17 Mai - 15:31 | |
| Je faisais référence à la même chose qu'Hildo effectivement... :) |
| | | Filamp
Localisation : Vous êtes ici.
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Jeu 17 Mai - 18:56 | |
| En fait je me rends compte que j'expose carrément le problème dans mon mémoire ; comme je ne pourrais que redire ce que j'y ai écrit, autant que je copie/colle le paragraphe. Donc, pour vous, en exclusivité mondiale, voici un bout de mon mémoire : - Spoiler:
La deuxième difficulté posée dans une étude sur la religion grecque réside précisément dans le fait qu'il s'agit d'une religion qui ne se considère pas comme telle. Qu'est-ce qu'une religion ? « Culte qu'on rend à la divinité » (Dictionnaire de l'Académie Française) ; « Ensemble déterminé de croyances et de dogmes définissant le rapport de l'homme avec le sacré » (Encyclopédie Larousse) ; « Rapport de l'homme à l'ordre du divin ou d'une réalité supérieure, tendant à se concrétiser sous la forme de systèmes de dogmes ou de croyances, de pratiques rituelles et morales. » (Dictionnaire Trésor de la Langue Française Informatisé). Aucune de ces définitions ne convient vraiment : la religion grecque ne suppose pas la croyance ; elle est constituée de gestes et de comportements, mais pas de foi. De même, elle ne comporte pas de dogme ; chaque cité développait ses propres versions des mythes et des traditions, qui étaient acceptées par les autres communautés. Enfin, elle ne limitait pas ses rites aux seules divinités ; les héros, sortes de demi-dieux, étaient l'objet de cultes tout aussi importants, notamment au niveau local. En fait, ce qui nous déroute, c'est que les Grecs et nous ne classons pas les mêmes choses dans la sphère du religieux. Pour un Grec antique, la famille, la cité, et beaucoup d'autres notions relèvent de la piété et appartiennent au religieux, ce qui n'est pas le cas pour nous. De même, certains actes aujourd'hui considérés comme religieux n'étaient pas vus comme des éléments d'une sphère qu'on importait dans une autre, mais comme un ensemble rationnel, qui n'avait pas à être divisé. Pour être plus clair : avant le début d'une séance de l'assemblée, c'est-à-dire la réunion des citoyens dans un cadre politique et délibératif, avait toujours lieu un sacrifice. Nous, Modernes, pouvons voir cela comme un instant religieux précédant un instant politique ; les Grecs ne le faisaient pas, puisque les dieux étaient partie intégrante de la vie de la cité et qu'il était normal de les intégrer aux discussions la concernant. Nous pouvons faire la même remarque sur le péan lors des batailles ; quand une armée grecque chantait cet hymne à Apollon lorsqu'elle chargeait l'ennemi ou venait de remporter la victoire, ce n'était pas une rupture entre le domaine militaire et le domaine religieux, mais la pratique habituelle à accomplir dans ce cadre. Il faut donc comprendre qu'il n'y a pas, pour un Grec, un domaine religieux qui vient s'encastrer dans un autre domaine (politique par exemple), mais un ensemble cohérent d'actes et de paroles, héritier de la tradition, qui faisait ou non intervenir le sacré. Le terme « religion » suppose que tout ce qui la concerne est séparé des autres domaines ; cette distinction est inopérante dans le cadre grec puisque tout y est en lien avec le sacré.
Pour paraphraser, en gros : la distinction faite dans la Bible "Il faut rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu" pose la définition de la religion comme la séparation entre les affaires religieuses et les affaires profanes. Cette distinction n'existe pas pour un esprit grec puisqu'il n'y a pas de "sphère religieuse" distincte de la "sphère politique", de la "sphère économique", ou de toutes les autres affaires. Le politique nécessitait d'accomplir des rites et d'établir des liens avec les dieux, pas pour renforcer le politique grâce à la religion, mais parce que c'était ainsi que le politique fonctionnait. C'est en fait ainsi que tout fonctionnait : rien n'était dissocié de ce que nous appelons aujourd'hui "religion". |
| | | gwann L'art et la bannière
Age : 37 Localisation : Ville du dragon
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Jeu 17 Mai - 19:21 | |
| Euh, je demande à vérifier cette séparation dans un certain nombre d'églises protestantes. Ou Bob aura peut-être aussi son mot à dire pour l'Islam dans certains pays du Moyen-Orient. Ta séparation me semble être uniquement culturelle et présente chez une majorité d'européens occidentaux. Dire les bénédicités avant le repas, c'est pas forcement restreinte le sacré à cette étape, tout le repas reste une célébration de son dieu. Tu ne ferais pas une extrapolation du catholicisme sur les autres religions actuelles ? |
| | | Hildoceras Moderatio in omnibus
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Jeu 17 Mai - 19:26 | |
| j'exprime (respectueusement) mon désaccord. Toutes les définitions prises en exemple suffisent à définir une religion et semblent bien caractériser la religion des Grecs. - Citation :
- Aucune de ces définitions ne convient vraiment : la religion grecque ne suppose pas la croyance ; elle est constituée de gestes et de comportements, mais pas de foi.
Si, la croyance est là, la foi aussi. Les Grecs sont convaincus de l'existence de divinités, et à tel point convaincus, qu'ils vivent en sachant à tout moment qu'elles sont présentes. La religion grecque me semble un cran au dessus des religions animistes en ce qu'elle personnalise des forces naturelles ou spirituelles, mais c'est le même fonctionnement de base : tout le monde vit au milieu des esprits/dieux et toute action est susceptible d'être mieux accueillie par les esprits/divinités en effectuant un rite adapté à la situation. - Citation :
- De même, elle ne comporte pas de dogme ; chaque cité développait ses propres versions des mythes et des traditions, qui étaient acceptées par les autres communautés. Enfin, elle ne limitait pas ses rites aux seules divinités ; les héros, sortes de demi-dieux, étaient l'objet de cultes tout aussi importants, notamment au niveau local.
Sans qu'il y ait dogme, il y a quand même la formalisation de l'intercession des humains, représentés par la personne elle même ou le sorcier/prêtre, en faveur des esprits/divinités. Qu'il faille sacrifier un poulet noir et une bouteille de rhum ou bien la fille d'un roi ou Sa chair et Son sang, ne change rien au principe religieux. Quand tu écris "Nous, Modernes" (et avec des majuscules bien lourdes), tu oublies une bonne partie de la population contemporaine qui vit toujours selon ces principes. Qu'ils soient des Papous, des Inuits ou des Amérindiens ne devrait pas dévaloriser la comparaison. Et aussitôt après, tu écris "Mais non je déconne, regardez, je vous donne des tas d'exemple démontrant que les Grecs étaient religieux". Ta rédaction et ta façon de présenter les choses, ne sont pas sans me troubler quelque peu... _________________ sed quis custodiat ipsos custodes ?
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| | | Hildoceras Moderatio in omnibus
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Jeu 17 Mai - 19:26 | |
| - gwann a écrit:
- Euh, je demande à vérifier cette séparation dans un certain nombre d'églises protestantes. Ou Bob aura peut-être aussi son mot à dire pour l'Islam dans certains pays du Moyen-Orient. Ta séparation me semble être uniquement culturelle et présente chez une majorité d'européens occidentaux. Dire les bénédicités avant le repas, c'est pas forcement restreinte le sacré à cette étape, tout le repas reste une célébration de son dieu.
Tu ne ferais pas une extrapolation du catholicisme sur les autres religions actuelles ? et vlan ! _________________ sed quis custodiat ipsos custodes ?
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| | | Filamp
Localisation : Vous êtes ici.
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Jeu 17 Mai - 21:22 | |
| - gwann a écrit:
- Euh, je demande à vérifier cette séparation dans un certain nombre d'églises protestantes. Ou Bob aura peut-être aussi son mot à dire pour l'Islam dans certains pays du Moyen-Orient. Ta séparation me semble être uniquement culturelle et présente chez une majorité d'européens occidentaux. Dire les bénédicités avant le repas, c'est pas forcement restreinte le sacré à cette étape, tout le repas reste une célébration de son dieu.
Tu ne ferais pas une extrapolation du catholicisme sur les autres religions actuelles ? Le problème n'est pas de savoir si cette séparation est effective dans toutes les religions ayant suivi la religion grecque ; la problématique rejoint le point débattu avec Bob plus haut, qui est la perception par l'historien de la religion grecque à travers sa propre définition de la religion. Je ne connais pas les subtilités des millions de sectes protestantes existantes, ça ne remet pas en cause la définition de la religion que la majorité des gens partagent. - Hildoceras a écrit:
- Si, la croyance est là, la foi aussi. Les Grecs sont convaincus de l'existence de divinités, et à tel point convaincus, qu'ils vivent en sachant à tout moment qu'elles sont présentes. La religion grecque me semble un cran au dessus des religions animistes en ce qu'elle personnalise des forces naturelles ou spirituelles, mais c'est le même fonctionnement de base : tout le monde vit au milieu des esprits/dieux et toute action est susceptible d'être mieux accueillie par les esprits/divinités en effectuant un rite adapté à la situation.
Je n'ai jamais dit que les Grecs ne croyaient pas en leur panthéon, je dis que la croyance en ce panthéon n'est pas une condition pour participer à la religion grecque. L'important, dans la religion grecque, est de faire, pas de croire ; il faut participer aux sacrifices, aux processions, aux fêtes, mais c'est tout. Il n'y aucune exigence de foi ; on a des écrits d'auteurs du VIe siècle disant qu'ils ne croyaient pas dans les dieux traditionnels, et ça ne posait aucun problème, tant qu'ils ne troublaient pas la bonne tenue des rites. Les rites grecs servent à réactualiser les liens que la communauté entretient avec les dieux ; ils servent à réunir les membres de la communauté dans une même pratique. Tu peux parfaitement ne pas croire dans les dieux, ça ne pose pas de problème ; en revanche, si tu ne participes pas, tu mets en danger la communauté. - Hildoceras a écrit:
- Sans qu'il y ait dogme, il y a quand même la formalisation de l'intercession des humains, représentés par la personne elle même ou le sorcier/prêtre, en faveur des esprits/divinités. Qu'il faille sacrifier un poulet noir et une bouteille de rhum ou bien la fille d'un roi ou Sa chair et Son sang, ne change rien au principe religieux.
Je... ne vois pas le rapport ? Un dogme est une tradition religieuse qui ne peut être remise en cause, sans quoi on s'exclut de la communauté des fidèles qui la respecte. Ceci n'existe pas en Grèce ancienne. Les panthéons, les récits mythiques, les traditions concernant l'établissement de rites, etc. sont différentes d'une cité à l'autre. Plus encore : quand Hérodote parle des rites perses, il s'étonne poliment qu'ils vénèrent le feu, et qu'ils n'élèvent pas de statues "comme le font les Grecs". Il n'y a pas d'excommunication, en Grèce, en somme. - Hildoceras a écrit:
- Quand tu écris "Nous, Modernes" (et avec des majuscules bien lourdes),
C'est une forme acceptée, séparant Anciens et Modernes ; il ne faut pas y voir autre chose. - Hildoceras a écrit:
- Quand tu écris "Nous, Modernes" (et avec des majuscules bien lourdes), tu oublies une bonne partie de la population contemporaine qui vit toujours selon ces principes. Qu'ils soient des Papous, des Inuits ou des Amérindiens ne devrait pas dévaloriser la comparaison.
Comme je le dis à Gwann ; ma perception de la religion grecque dépend de ma définition de la religion. L'historiographie européenne (et encore, je suis flou, je pourrais réduire ou agrandir) n'est pas confrontée aux mêmes problèmes que l'historiographie inuit. Notre historiographie doit affronter le problème du dépassement de sa définition de la religion, influencée par les monothéismes ; l'historiographie inuit, si elle n'a pas ce problème, en rencontre assurément d'autres. Si un Européen me lit, il trouvera des clef pour comprendre la religion ; si un Inuit me lit, il aura déjà cette connaissance, peu importe. - Hildoceras a écrit:
- Et aussitôt après, tu écris "Mais non je déconne, regardez, je vous donne des tas d'exemple démontrant que les Grecs étaient religieux".
Mais je ne déconne pas ; j'essaye de montrer que les Grecs n'étaient pas religieux au sens où nous l'entendons, mais qu'ils l'étaient selon leurs propres critères. Si nous en restons à notre définition de la religion, on pensera qu'ils n'étaient pas religieux ; si on parvient à atteindre leur définition, on découvre qu'ils l'étaient. |
| | | gwann L'art et la bannière
Age : 37 Localisation : Ville du dragon
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Jeu 17 Mai - 21:56 | |
| - Filamp a écrit:
- gwann a écrit:
- Euh, je demande à vérifier cette séparation dans un certain nombre d'églises protestantes. Ou Bob aura peut-être aussi son mot à dire pour l'Islam dans certains pays du Moyen-Orient. Ta séparation me semble être uniquement culturelle et présente chez une majorité d'européens occidentaux. Dire les bénédicités avant le repas, c'est pas forcement restreinte le sacré à cette étape, tout le repas reste une célébration de son dieu.
Tu ne ferais pas une extrapolation du catholicisme sur les autres religions actuelles ? Le problème n'est pas de savoir si cette séparation est effective dans toutes les religions ayant suivi la religion grecque ; la problématique rejoint le point débattu avec Bob plus haut, qui est la perception par l'historien de la religion grecque à travers sa propre définition de la religion. Je ne connais pas les subtilités des millions de sectes protestantes existantes, ça ne remet pas en cause la définition de la religion que la majorité des gens partagent. Alors ta formulation "Nous, Modernes" est extrêmement maladroite. Même si tu utilises le "nous" pour dire "je", ça force le lecteur à adapter sa perception de sa foi à ton propos, ce dont tu ne peux pas être certain. Il ne s'agit pas forcement de secte, j'aurai plutôt envie de penser que c'est généralisé mais je manque d'expérience avec les églises protestantes (actives). Je ne parle pas de la religion fond culturel à l'européenne, mais de la pratique religieuse intense que l'on trouve par exemple en France dans les communautés antillaises ou d'origine africaine (pentecôtistes, ou erstaz luthérien ou catholique). Même chez les catholiques, il suffit de regarder le cénobitisme pour voir qu'il y a des catholiques pour qui le contact avec le sacré englobe toute la vie bien qu'il y ait des moments plus proches du divin comme la prière. |
| | | Filamp
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| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Jeu 17 Mai - 22:04 | |
| En réalité, "Nous, Modernes" ne veut pas dire "Contemporains" ou "Ensemble de la population actuelle". Le terme "Modernes" s'oppose au terme "Anciens" ; il marque la séparation indépassable entre eux, il rend compte du fait que ceux qui sont englobés un peu facilement sous le terme générique "Anciens" ne seront plus jamais "nous". Tous les efforts des sciences humaines portées sur l'histoire des peuples concernés essaieront de combler l'écart, essaieront de comprendre le mieux possible, mais cette opposition des deux termes rappellent que le syncrétisme ne sera plus jamais totalement possible. |
| | | Bob Lafayette
Age : 50 Localisation : Lorient
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Jeu 17 Mai - 22:07 | |
| Il y a des tas d'éléments à débats là dedans. Cela dit, gwann a raison, l'indistinction entre sphère religieuse et sphère non religieuse est une norme pour des milliards d'êtres humains aujourd'hui. Et puis l'existence d'un dogme décliné en un grand nombre d'interprétations et de relectures locales, c'est aussi un truc qui se conçoit très bien.
Cela étant, loin de moi l'idée qu'il y ait des parallèles à faire entre des sociétés, des époques et des pratiques religieuses séparées dans le temps et les civilisations. Je comprends tout à fait l'idée qu'il faut déconstruire ses propres références religieuses avant d'être capable d'entraver la religion grecque. Toute similitude entraînerait alors un risque grand de projection. |
| | | Hildoceras Moderatio in omnibus
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Ven 18 Mai - 7:15 | |
| - Filamp a écrit:
- gwann a écrit:
- Euh, je demande à vérifier cette séparation dans un certain nombre d'églises protestantes. Ou Bob aura peut-être aussi son mot à dire pour l'Islam dans certains pays du Moyen-Orient. Ta séparation me semble être uniquement culturelle et présente chez une majorité d'européens occidentaux. Dire les bénédicités avant le repas, c'est pas forcement restreinte le sacré à cette étape, tout le repas reste une célébration de son dieu.
Tu ne ferais pas une extrapolation du catholicisme sur les autres religions actuelles ? Le problème n'est pas de savoir si cette séparation est effective dans toutes les religions ayant suivi la religion grecque ; la problématique rejoint le point débattu avec Bob plus haut, qui est la perception par l'historien de la religion grecque à travers sa propre définition de la religion. Je ne connais pas les subtilités des millions de sectes protestantes existantes, ça ne remet pas en cause la définition de la religion que la majorité des gens partagent. Peut-être que, plus que la définition de la religion selon tel et tel dictionnaire, il aurait fallu mettre en exergue "la définition de la religion que la majorité des gens partagent". Parce que si tu bases ta comparaison davantage sur ça que sur les définitions des dictionnaires, on ne peut que se perdre. - Citation :
- Hildoceras a écrit:
- Si, la croyance est là, la foi aussi. Les Grecs sont convaincus de l'existence de divinités, et à tel point convaincus, qu'ils vivent en sachant à tout moment qu'elles sont présentes. La religion grecque me semble un cran au dessus des religions animistes en ce qu'elle personnalise des forces naturelles ou spirituelles, mais c'est le même fonctionnement de base : tout le monde vit au milieu des esprits/dieux et toute action est susceptible d'être mieux accueillie par les esprits/divinités en effectuant un rite adapté à la situation.
Je n'ai jamais dit que les Grecs ne croyaient pas en leur panthéon, je dis que la croyance en ce panthéon n'est pas une condition pour participer à la religion grecque. L'important, dans la religion grecque, est de faire, pas de croire ; il faut participer aux sacrifices, aux processions, aux fêtes, mais c'est tout. Il n'y aucune exigence de foi ; on a des écrits d'auteurs du VIe siècle disant qu'ils ne croyaient pas dans les dieux traditionnels, et ça ne posait aucun problème, tant qu'ils ne troublaient pas la bonne tenue des rites. Les rites grecs servent à réactualiser les liens que la communauté entretient avec les dieux ; ils servent à réunir les membres de la communauté dans une même pratique. Tu peux parfaitement ne pas croire dans les dieux, ça ne pose pas de problème ; en revanche, si tu ne participes pas, tu mets en danger la communauté.
- Hildoceras a écrit:
- Sans qu'il y ait dogme, il y a quand même la formalisation de l'intercession des humains, représentés par la personne elle même ou le sorcier/prêtre, en faveur des esprits/divinités. Qu'il faille sacrifier un poulet noir et une bouteille de rhum ou bien la fille d'un roi ou Sa chair et Son sang, ne change rien au principe religieux.
Je... ne vois pas le rapport ? Un dogme est une tradition religieuse qui ne peut être remise en cause, sans quoi on s'exclut de la communauté des fidèles qui la respecte. Ceci n'existe pas en Grèce ancienne. Les panthéons, les récits mythiques, les traditions concernant l'établissement de rites, etc. sont différentes d'une cité à l'autre. Plus encore : quand Hérodote parle des rites perses, il s'étonne poliment qu'ils vénèrent le feu, et qu'ils n'élèvent pas de statues "comme le font les Grecs". Il n'y a pas d'excommunication, en Grèce, en somme. Dans la mesure où la religion est intrinsèquement liée à la vie quotidienne et à la société, s'exclure de la religion est aussi s'exclure de la société. Et s'il est alors un dogme c'est d'être intégré (tout ce qui n'est pas grec est barbare, ce qui n'est pas citoyen est métèque, ...). Tu parles de quelques rebelles qui sont athées comme de nos jours on peut parler de quelques punks qui sont antisociaux. Il est peut-être là le dogme. - Citation :
- Hildoceras a écrit:
- Quand tu écris "Nous, Modernes" (et avec des majuscules bien lourdes), tu oublies une bonne partie de la population contemporaine qui vit toujours selon ces principes. Qu'ils soient des Papous, des Inuits ou des Amérindiens ne devrait pas dévaloriser la comparaison.
Comme je le dis à Gwann ; ma perception de la religion grecque dépend de ma définition de la religion. L'historiographie européenne (et encore, je suis flou, je pourrais réduire ou agrandir) n'est pas confrontée aux mêmes problèmes que l'historiographie inuit. Notre historiographie doit affronter le problème du dépassement de sa définition de la religion, influencée par les monothéismes ; l'historiographie inuit, si elle n'a pas ce problème, en rencontre assurément d'autres. Si un Européen me lit, il trouvera des clef pour comprendre la religion ; si un Inuit me lit, il aura déjà cette connaissance, peu importe. Comme je l'ai écris un peu plus haut, précise ta définition. Moi, j'en étais à définir à partir de la religion sens large, toi tu es sur une définition basée sur une religion monothéiste occidentale, voire carrément chrétienne. Ça sent l'orientation politique et la destinée chrétienne de l'Europe moderne _________________ sed quis custodiat ipsos custodes ?
|
| | | Filamp
Localisation : Vous êtes ici.
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Ven 18 Mai - 12:28 | |
| - Hildoceras a écrit:
- Hildoceras a écrit:
- Hildoceras a écrit:
- Si, la croyance est là, la foi aussi. Les Grecs sont convaincus de l'existence de divinités, et à tel point convaincus, qu'ils vivent en sachant à tout moment qu'elles sont présentes. La religion grecque me semble un cran au dessus des religions animistes en ce qu'elle personnalise des forces naturelles ou spirituelles, mais c'est le même fonctionnement de base : tout le monde vit au milieu des esprits/dieux et toute action est susceptible d'être mieux accueillie par les esprits/divinités en effectuant un rite adapté à la situation.
Je n'ai jamais dit que les Grecs ne croyaient pas en leur panthéon, je dis que la croyance en ce panthéon n'est pas une condition pour participer à la religion grecque. L'important, dans la religion grecque, est de faire, pas de croire ; il faut participer aux sacrifices, aux processions, aux fêtes, mais c'est tout. Il n'y aucune exigence de foi ; on a des écrits d'auteurs du VIe siècle disant qu'ils ne croyaient pas dans les dieux traditionnels, et ça ne posait aucun problème, tant qu'ils ne troublaient pas la bonne tenue des rites. Les rites grecs servent à réactualiser les liens que la communauté entretient avec les dieux ; ils servent à réunir les membres de la communauté dans une même pratique. Tu peux parfaitement ne pas croire dans les dieux, ça ne pose pas de problème ; en revanche, si tu ne participes pas, tu mets en danger la communauté.
- Hildoceras a écrit:
- Sans qu'il y ait dogme, il y a quand même la formalisation de l'intercession des humains, représentés par la personne elle même ou le sorcier/prêtre, en faveur des esprits/divinités. Qu'il faille sacrifier un poulet noir et une bouteille de rhum ou bien la fille d'un roi ou Sa chair et Son sang, ne change rien au principe religieux.
Je... ne vois pas le rapport ? Un dogme est une tradition religieuse qui ne peut être remise en cause, sans quoi on s'exclut de la communauté des fidèles qui la respecte. Ceci n'existe pas en Grèce ancienne. Les panthéons, les récits mythiques, les traditions concernant l'établissement de rites, etc. sont différentes d'une cité à l'autre. Plus encore : quand Hérodote parle des rites perses, il s'étonne poliment qu'ils vénèrent le feu, et qu'ils n'élèvent pas de statues "comme le font les Grecs". Il n'y a pas d'excommunication, en Grèce, en somme. Dans la mesure où la religion est intrinsèquement liée à la vie quotidienne et à la société, s'exclure de la religion est aussi s'exclure de la société. Et s'il est alors un dogme c'est d'être intégré (tout ce qui n'est pas grec est barbare, ce qui n'est pas citoyen est métèque, ...). Tu parles de quelques rebelles qui sont athées comme de nos jours on peut parler de quelques punks qui sont antisociaux. Il est peut-être là le dogme. Donc on est au moins d'accord pour dire que la religion grecque ne suppose pas la foi, comme tu le disais dans le premier message ? C'est un fait avéré, vraiment : le crime, en Grèce, est d'être impie, pas d'être incroyant. Concernant le dogme, il me semble que tu assimiles un peu facilement dogme religieux et dogme social. Ce n'est pas la même chose. Quelqu'un qui ne respecterait pas un sacrifice ne verrait pas sa qualité "religieuse" remise en cause, mais sa qualité sociale. On ne lui nie pas sa capacité à communier avec les dieux, on lui nie son adhésion à la communauté. Et, encore une fois, il n'y a aucun principe purement religieux qui soit disqualificatoire : un Athénien n'a pas les mêmes traditions qu'un Spartiate, et aucun des deux ne reproche à l'autre ses pratiques religieuses. Athènes accepte que les Spartiates vénèrent Athéna sur leur propre acropole, avec des rites différents ; ils n'ont jamais dit "Vous ne vénérez pas Athéna correctement". |
| | | Hildoceras Moderatio in omnibus
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Ven 18 Mai - 12:52 | |
| - Filamp a écrit:
- Donc on est au moins d'accord pour dire que la religion grecque ne suppose pas la foi, comme tu le disais dans le premier message ? C'est un fait avéré, vraiment : le crime, en Grèce, est d'être impie, pas d'être incroyant.
Celui qui épouse la religion grecque a forcément la foi Tu me parles d'incroyants, mais de nombreux incroyants vont à l'église catholique pour les mariages et baptêmes sans avoir la foi pour autant. Les croyants, eux, ont par définition la foi et donnent un sens religieux à ces cérémonies. La religion grecque suppose la foi pour ceux qui l'épousent. - Citation :
- Concernant le dogme, il me semble que tu assimiles un peu facilement dogme religieux et dogme social. Ce n'est pas la même chose. Quelqu'un qui ne respecterait pas un sacrifice ne verrait pas sa qualité "religieuse" remise en cause, mais sa qualité sociale. On ne lui nie pas sa capacité à communier avec les dieux, on lui nie son adhésion à la communauté.
Et, encore une fois, il n'y a aucun principe purement religieux qui soit disqualificatoire : un Athénien n'a pas les mêmes traditions qu'un Spartiate, et aucun des deux ne reproche à l'autre ses pratiques religieuses. Athènes accepte que les Spartiates vénèrent Athéna sur leur propre acropole, avec des rites différents ; ils n'ont jamais dit "Vous ne vénérez pas Athéna correctement".
je persiste en disant que le religieux et le social étant intrinsèquement liés, la question du dogme ne se posera pas au niveau du religieux mais du social. Un gars qui ne respectera pas les cérémonies sera tout simplement un "pas d'cheux nous". Je pense que si les Athéniens pensent que les Spartiates ne vénèrent pas Athéna comme "il conviendrait" c'est que tout simplement les Spartiates sont des "Pas d'cheux nous" et qu'on ne peut rien attendre de mieux de ces métèques, de toute façon. Dans un coin donné, les prêtres du cru feront les cérémonies d'une certaine façon, très codifiée et toute dérive sera considérée au mieux comme un mauvais présage, au pire comme annulant la cérémonie et offensant la divinité. Il y a bien dogme religieux, d'une certaine façon et dogme social lié, étant inconcevable qu'on pût modifier la cérémonie. [c'est ainsi que je le vois, à toi de me dire si on retrouve ça dans les sources]. Je t'accorde que la question religieuse ne devient jamais une question politique (ou bien j'ai loupé des faits anecdotiques à ce sujet) contrairement aux religions qui sont des religions d'État et qui, surtout, imposent des interdits sur le peuple. _________________ sed quis custodiat ipsos custodes ?
|
| | | Keyser Pacha
Age : 45 Localisation : Pleine tête !
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Ven 18 Mai - 13:15 | |
| Il y a les guerres sacrés qui sont intéressantes parce qu'elles nous apprennent sur la religion et la façon dont elle est appréhendé une fois confronté a des aspects pragmatique (mise en culture de terres consacré, besoin de se conformer aux amendes votées mais être capable de s'emparer du trésor pour renverser le conseil, condamnations des "impies" etc).
Elles mettent bien en valeur je trouve ce coté, il y a la croyance et la tradition qu'il faut respecter, mais avec laquelle on s'arrange quand on est dans la merde... Mais à ses risques et périls... |
| | | Filamp
Localisation : Vous êtes ici.
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Sam 19 Mai - 14:33 | |
| - Hildoceras a écrit:
- Filamp a écrit:
- Donc on est au moins d'accord pour dire que la religion grecque ne suppose pas la foi, comme tu le disais dans le premier message ? C'est un fait avéré, vraiment : le crime, en Grèce, est d'être impie, pas d'être incroyant.
Celui qui épouse la religion grecque a forcément la foi Tu me parles d'incroyants, mais de nombreux incroyants vont à l'église catholique pour les mariages et baptêmes sans avoir la foi pour autant. Les croyants, eux, ont par définition la foi et donnent un sens religieux à ces cérémonies. La religion grecque suppose la foi pour ceux qui l'épousent. Je ne comprends pas ; tu donnes précisément un exemple démontrant qu'on peut participer à un rite religieux sans avoir la foi. Un athée peut assister au mariage religieux de son cousin, être présent dans l'église, être son témoin s'il le faut, tout en refusant toujours de croire en Dieu ; de même, un Grec peut nier que les dieux soient présents dans la cité, soient des "super-humains", mais assister aux sacrifices et manger sa part de viande. Faire et croire ne sont pas liés : tu peux faire des choses que tu ne veux pas, que tu penses inutile ou nuisible (voter Chirac en 2002, au hasard ), tout comme tu peux être convaincu de quelque chose sans le faire (mettre le feu au pantalon de Claude Guéant, avec Claude Guéant dedans, toujours au hasard). - Hildoceras a écrit:
-
- Citation :
- Concernant le dogme, il me semble que tu assimiles un peu facilement dogme religieux et dogme social. Ce n'est pas la même chose. Quelqu'un qui ne respecterait pas un sacrifice ne verrait pas sa qualité "religieuse" remise en cause, mais sa qualité sociale. On ne lui nie pas sa capacité à communier avec les dieux, on lui nie son adhésion à la communauté.
Et, encore une fois, il n'y a aucun principe purement religieux qui soit disqualificatoire : un Athénien n'a pas les mêmes traditions qu'un Spartiate, et aucun des deux ne reproche à l'autre ses pratiques religieuses. Athènes accepte que les Spartiates vénèrent Athéna sur leur propre acropole, avec des rites différents ; ils n'ont jamais dit "Vous ne vénérez pas Athéna correctement".
je persiste en disant que le religieux et le social étant intrinsèquement liés, la question du dogme ne se posera pas au niveau du religieux mais du social. Un gars qui ne respectera pas les cérémonies sera tout simplement un "pas d'cheux nous". Je pense que si les Athéniens pensent que les Spartiates ne vénèrent pas Athéna comme "il conviendrait" c'est que tout simplement les Spartiates sont des "Pas d'cheux nous" et qu'on ne peut rien attendre de mieux de ces métèques, de toute façon. Non, il n'y a pas de notion de "pad'cheux nous" entre Grecs ; les cités sont des regroupements politiques, avec des institutions et des traditions différentes, mais il n'y a pas de rejet "moral" d'un autre Grec. (Encore que qu'il y aurait des subtilités à faire ici, avec les rapports entre Doriens et Ioniens, mais ce sont des peuples, pas des entités politiques). - Hildoceras a écrit:
- Dans un coin donné, les prêtres du cru feront les cérémonies d'une certaine façon, très codifiée et toute dérive sera considérée au mieux comme un mauvais présage, au pire comme annulant la cérémonie et offensant la divinité. Il y a bien dogme religieux, d'une certaine façon et dogme social lié, étant inconcevable qu'on pût modifier la cérémonie. [c'est ainsi que je le vois, à toi de me dire si on retrouve ça dans les sources].
Il y a toujours une part d'interprétation dans la religion grecque ; tout acteur d'un rite doit nécessairement comprendre ce qui lui est dit par la divinité. Or, l'interprétation est le contraire du dogme ; le dogme doit être accepté sans questionnement, et même sans recherche d'une réponse (on ne doit pas essayer de comprendre le mystère de la Trinité). Même quand l'interprétation est mauvaise, on ne nie pas la qualité religieuse de celui qui s'est trompé : par exemple, lors d'une campagne lacédémonienne contre Argos (Thucydide la rapporte), le roi spartiate en question s'arrange pour envahir le territoire ennemi alors qu'Argos affirme qu'une trêve sacrée la concernant est en cours. Quand il passe la frontière, un tremblement de terre survient ; ses hommes s'affolent, beaucoup y voient un signe défavorable ; le roi spartiate dit au contraire que les dieux saluent l'expédition. Plus tard, alors qu'il campe, un orage éclate et la foudre tombe sur son armée, tuant plusieurs hommes. Ce n'est qu'après ça que les Spartiates rentrent chez eux ; et personne, pas même Thucydide qui n'est pas concerné et pourrait dire ce qu'il veut, ne blâme le roi : il a interprété, s'est trompé, s'est entêté dans son erreur, mais il n'est pas pour autant exclu de sa liaison avec les dieux. Les sacrifices sont pareils : le sacrifiant doit interpréter ce qu'il voit dans l'animal (c'est pour ça qu'on laisse plutôt faire ceux qui ont déjà assisté à des sacrifices, car ils ont un peu d'expérience ; Xénophon souligne qu'il considère ça comme important, par exemple) ; la Pythie, pareil, le pèlerin doit interpréter ses paroles ; les rêves, encore pareil. - Hildoceras a écrit:
- Je t'accorde que la question religieuse ne devient jamais une question politique (ou bien j'ai loupé des faits anecdotiques à ce sujet) contrairement aux religions qui sont des religions d'État et qui, surtout, imposent des interdits sur le peuple.
- Keyser Pacha a écrit:
- Il y a les guerres sacrés qui sont intéressantes parce qu'elles nous apprennent sur la religion et la façon dont elle est appréhendé une fois confronté a des aspects pragmatique (mise en culture de terres consacré, besoin de se conformer aux amendes votées mais être capable de s'emparer du trésor pour renverser le conseil, condamnations des "impies" etc).
Elles mettent bien en valeur je trouve ce coté, il y a la croyance et la tradition qu'il faut respecter, mais avec laquelle on s'arrange quand on est dans la merde... Mais à ses risques et périls... Les guerres sacrées sont effectivement presque davantage des questions politiques que religieuses ; une guerre sacrée est déclenchée quand on considère que l'autonomie du sanctuaire de Delphes n'est plus assurée. Quand une cité proche prend trop de pouvoir sur l'amphictyonie, par exemple. |
| | | Toub
Age : 60 Localisation : méchoui sur Loire
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Lun 16 Fév - 15:13 | |
| _________________ Free your mind ... your ass will follow
|
| | | Calimero
Localisation : Dans le fief de Devedjian
| Sujet: Re: Comprendre la religion - Ou "Allons nous faire voir chez les Grecs" Lun 16 Fév - 18:43 | |
| De mémoire, quand tu te déclares sans religion, la part des impôts autrement versé à un culte de ton choix est alors versé à des associations caritatives que l'on choisi. On ne paye donc pas moins d'impôts en se déclarant athée. |
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